- QUELQUES MOTS DE JEAN-LUC CHAGNOLLEAU -
Nous vous souhaitons la bienvenue et vous remercions d’avoir répondu si nombreux à notre invitation. Le thème central de la journée, « la santé au travail dans les métiers portuaires », n’est sans doute pas un sujet facile à aborder. Pour autant, nous souhaitons que ces deux tables rondes soient un moment privilégié pour progresser, notamment, dans la connaissance des dossiers des cancers et des autres pathologies d’origine professionnelle. Notre Association pour la protection de la santé au travail dans les métiers portuaires 44 est née lorsque nous avons pris conscience du pourcentage important de malades recensés sur une période donnée (1992 à ce jour). Ce constat nous a poussé à mener une expertise sociale en ciblant la population salariée dockers et agents de l’exploitation du Grand Port Maritime (GPM) de Nantes–Saint-Nazaire.
À partir des résultats de cette première enquête, mettant en relief un taux anormalement élevé de pathologies graves et de décès dans notre port, nous avons décidé d’organiser cette journée.
Parmi les maladies graves affectant les travailleurs portuaires que nous avons comptabilisées, il y a différents types de cancers (rein, prostate, poumon, larynx, pancréas, oesophage, vessie, rectum…), des maladies cardio-vasculaires ou liées à l’amiante. La dégradation de la santé de la population salariée portuaire pose à notre avis une véritable et importante question de santé publique. Cette journée nous permet de soumettre à l’analyse critique de scientifiques, de chercheurs (sociologues), de la médecine du travail, de mutualistes, ou d’associations telles que la Ligue contre le cancer, le contenu de notre expertise sociale et les enseignements que nous mettons en évidence.
La question décisive que nous souhaitons mettre en débat, et pour laquelle nous espérons au moins une amorce de réponse, est la suivante : peut-il être établi un lien de causalité entre les pathologies recensées et les conditions de travail des salariés portuaires, dockers et agents d’exploitation du GPM de Nantes–Saint-Nazaire ?
Cette question en appelle une seconde : quelle est la situation dans les autres ports français ?
En rendant publique notre démarche, et en ouvrant cette journée de réflexion au public, nous témoignons de notre volonté de voir émerger une réelle politique de prévention des risques professionnels, de reconnaissance de maladies professionnelles, et de réparation. Ce combat demandera du temps et de la persévérance, nous le savons, mais nous pensons qu’il faut le plus tôt possible réfléchir à de nouvelles règles et procédures en matière de protection de la santé au travail dans les métiers portuaires. Certes, il y a eu des avancées importantes mais cela suffit-il pour assurer une protection suffisamment efficace et éviter que dans quelques années, ce débat revienne un jour à l’ordre du jour ?
Ces objectifs, que nous affichons clairement, montrent l’importance des contributions que vous apporterez au cours de cette conférence, et des espoirs en retour qui sont les nôtres.
- QUELQUES MOTS DE GILLES RIALLAND -
Avant d’entamer nos travaux, nous souhaitons remercier tous ceux qui, dès le départ, ont cru en notre projet et nous ont conforté dans notre démarche : la Direction du CHU, et plus particulièrement Mme Ariane Bénard, directrice du Pôle Personnel et Relations Sociales du CHU de Nantes, qui met gracieusement à notre disposition cette salle de conférences de l’hôpital Laennec, et apporte la caution de l’hôpital public au thème de la journée ; M. le Professeur Grégoire, Président du Comité 44 de la Ligue contre le cancer pour son accueil, son écoute, et la promptitude de la Ligue à soutenir notre projet sur le plan scientifique et financier ; Claude Riallant, de la Direction de Prémalliance AG2R La Mondiale pour la contribution financière sans laquelle l’organisation de la conférence aujourd’hui, n’aurait pas été possible.
Nous n’oublions pas les collectivités territoriales, et plus particulièrement le président du Conseil régional des Pays de la Loire, M. le député et maire de Nantes, et M. le maire de Saint-Nazaire qui nous aident également financièrement ; les sociologues et chercheurs de l’INSERM, de l’Université de Nantes et du GISCOP 93, Annie Thébaud-Mony (qui n’a pas pu se libérer), Véronique Daubas-Letourneux, et Christophe Coutanceau pour leur écoute, leur engagement à nos côtés, et leur encouragement à la réalisation de nos objectifs ; Harmonie Atlantique, qui contribue financièrement à l’organisation de cette journée, et avec laquelle nous avons signé une convention pour poursuivre un travail d’information et de connaissance dans le prolongement de la conférence ; Stéphane Messer et toute l’équipe de Viva avec qui nous avons travaillé étroitement pour élaborer le programme de cette conférence ; Carole Hazé, responsable du Centre de ressources en prévention à la Fédération des mutuelles de France, pour sa contribution et son aide ; Maître Véronique Aubry, avocate au barreau de Nantes, spécialisée dans le droit social et qui connait très bien les dossiers portuaires ; M. le Professeur Christian Géraut, chef de service de médecine du travail et des risques professionnels du CHU de Nantes ; M. Georges Arnaudeau, président de l’association Allô amiante ; M. Guy Garnier, médecin du travail au port de Marseille, et enfin Tony Hautbois, secrétaire général de la Fédération CGT des Ports et Docks.
Nous notons et regrettons l’absence de M. le Directeur de la DIRECCTE (Direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, ex-DDTE) qui nous a fait savoir que son ministère de tutelle (le ministère du Travail) ne souhaitait pas qu’il participe à nos travaux en raison d’un contexte qui ne lui paraissait pas favorable. À noter également l’absence de la CARSAT (ex CRAM) qui elle, n’a pas répondu à nos sollicitations. Regrets également de ne pouvoir compter parmi nous M. Lambert, sociologue, qui nous fut d’un précieux secours lors de la création de notre association, et M. le Professeur J.-L. Harousseau, qui avait répondu rapidement à notre sollicitation en mars 2010, et avec lequel nous avions convenu d’un travail de suivi et de communication. Ses nouvelles responsabilités nationales au sein de l’Agence nationale de la santé explique sans doute que nous n’ayons pu conduire à son terme ce travail.
Vous êtes venus nombreux et nous vous en remercions. Certains se connaissent, comme les camarades dockers et agents portuaires des différents ports de l’hexagone (Calais, Rouen, Le Havre, Brest, Lorient, La Rochelle, Bordeaux, Marseille, Fos, et bien sûr Nantes–Saint-Nazaire). Mais nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui : une délégation d’agents des Douanes, corporation elle aussi touchée par la maladie ; Mme Josette Lemarié, qui représente l’Union maritime Nantes Port ; une délégation d’IDC (Conseil international des travailleurs portuaires) représentée par Susana Busquets et Jordy Aragunde, de Barcelone, également secrétaire national de la Coordination des ouvriers portuaires espagnols ; Dr Joëlle Barrit, médecin du travail des dockers de Nantes ; Dr Breuille, médecin du travail du GPM de Nantes–Saint-Nazaire ; Dr Rose-Marie Pontoire, médecin du travail des dockers en Guyane ; Dr Peslerbe, ancien médecin du travail du GPM de Nantes–Saint-Nazaire ; Mme Gabut-Deloraine, animatrice de l’association ERI (Espace de Rencontres et d'Information) ; Mme Fabry, infirmière au CHU de Nantes ; Dr Parrot, médecin du travail aux Douanes ; M. Simon, chef du service Sécurité au GPM de Nantes–Saint-Nazaire ; l’Association portuaire de défense des victimes de l’amiante du port de Dunkerque ; des responsables de la Mutuelle générale de l’environnement et des territoires ; Jeannine Moreau, représentante de l’Union départementale CGT de Loire-Atlantique ; la Mutuelle du port de Marseille ; l’association Artur (Association pour la recherche sur les tumeurs du rein) ; Emergences, organisme de formation de conseils et d’expertises dans le domaine de la santé au travail. Enfin, nous remercions les militants du syndicat CGT du CHU de Nantes qui nous accompagnent depuis le départ dans l’ensemble de nos démarches et se sont rendus disponibles pour faciliter l’organisation de cette conférence et son déroulement dans les meilleures conditions. Merci enfin à Véronique, Sylvie, Annie, Yvonne, Colette que vous avez croisées à l’Accueil, à l’occasion de la remise des dossiers. En espérant n’avoir oublié personne, je vous souhaite une bonne rencontre-débat !
TABLE RONDE ANIMÉE PAR BRIGITTE BÈGUE, JOURNALISTE À VIVA
INTERVENTION DU PROFESSEUR CHRISTIAN GÉRAUT, CHEF DU SERVICE DE MÉDECINE DU TRAVAIL ET DES RISQUES PROFESSIONNELS DU CHU DE NANTES
- LIENS ENTRE TRAVAIL ET PATHOLOGIES : QUELLE APPROCHE MÉDICALE ? -
Comment faire le lien entre un état de santé déficient et les conditions de travail ?
Telle est la question que beaucoup d’entre nous se posent.
Je vous propose d’y répondre en quatre points. Tout d’abord je m’intéresserai aux cas où le lien est facile à établir, puis à ceux qui nécessitent l’avis du médecin présent dans l’entreprise. Ensuite je vous parlerai des cas où le lien est difficile à établir, parce que cela nécessite de mener de grandes enquêtes épidémiologiques, et donc de disposer de moyens suffisants pour les mener. Enfin j’aborderai de façon sommaire les possibilités de réparation, car en tant qu’expert, je suis confronté régulièrement au fait que les gens ne savent pas comment faire valoir leurs droits.
Le lien causal est parfois facile à établir pour des affections dont la cause paraît assez évidente dans un délai bref. C’est le cas avec l’apparition d’un lumbago après un effort, une intoxication aiguë par le monoxyde de carbone, un asthme survenant peu de temps après le début du travail, voire une brûlure chimique, même si dans ce cas précis, une enquête est nécessaire pour déterminer le produit incriminé. Je me souviens par exemple de travailleurs présentant des brûlures immédiates alors qu’ils ne transportaient que des sacs d’aliment pour animaux ; il s’est avéré, après enquête, que ces aliments contenaient de la vitamine K3, donc du métabisulfite de sodium.
Un lumbago aigu ou une sciatique d’apparition rapide sont facilement rattachables à un effort particulier et peuvent relever d’une déclaration d’accident du travail. Il n’en va pas forcément de même avec une maladie très courante, l’épicondylite, qui peut survenir après des gestes de préhension forcés ou répétés. On met souvent l’accent sur le poids des charges portées (d’au moins 10 kg) mais il ne faut pas oublier les autres facteurs, dont le travail sous pression, sans indépendance, durant lequel le travailleur ne peut gérer lui-même son temps de repos. Le Professeur Cazamian a écrit que le travail idéal est celui de l’artisan parce qu’il travaille à son rythme, même s’il est amené à travailler très longtemps. Quand on est obligé de travailler sous la contrainte du rendement, on n’a pas le temps de s’arrêter et malheureusement, l’absence de pauses entraîne des troubles musculo-squelettiques, cette maladie professionnelle n° 1 de notre époque, en France mais aussi dans le monde entier. Chaque année en France, 4 000 personnes sont indemnisées pour épicondylite, et ce chiffre monte à 7 500 pour celles qui souffrent de périarthrite des épaules.
Concernant l’intoxication par le monoxyde de carbone, voici un cas classique. Dans une cale mal aérée où fonctionne un moteur thermique (par exemple un chariot automoteur thermique, même si aujourd’hui ils sont surtout électriques), le travailleur se sent particulièrement fatigué et ressent le besoin de dormir. Il a des vertiges, des nausées, des troubles oculaires. Heureusement, les pompiers comme les médecins du travail sont habitués à ce type de troubles et peuvent poser le diagnostic : il y a possibilité d’intoxication aiguë par le monoxyde de carbone, dont on sait qu’elle peut tuer le sujet ou le plonger dans un coma profond et prolongé aux conséquences neurologiques et psychiatriques graves. Si on ne pense pas à faire ces examens, on passe à côté du diagnostic, surtout s’il y a en même temps une épidémie de grippe. J’ai été confronté, dans le cadre de mes expertises, à des gens qui avaient été suivis pour des épisodes de grippe à répétition. Or, ils ne souffraient pas de la grippe mais d’intoxication non aiguë par le monoxyde de carbone. On peut aussi voir des intoxications aiguës avec asphyxie parfois mortelle par raréfaction d’oxygène due à la fermentation de produits végétaux produisant de grandes quantités d’anhydride carbonique, ou par des vapeurs d’acide cyanhydrique émises lors de la fermentation du manioc ; des intoxications par le chlorure de méthyle et le dichlorométhane dans des cales où une fumigation a été effectuée.
Une poussée d’asthme ou une rhinite abondante peuvent survenir dix à vingt minutes après séjour dans une cale où se trouvent des végétaux (céréales, tabac, café vert, poils d’animaux…) et des bois exotiques qui sont reconnus pour pouvoir donner des asthmes sérieux. Une pneumopathie fébrile peut survenir six heures après contact avec des moisissures de climatiseurs, des poussières de coton…
Lorsque les effets sont retardés de quelques jours ou semaines, le lien causal est plus difficile à mettre en évidence. C’est le cas des intoxications par le plomb, ou encore du syndrome d’intolérance aux odeurs chimiques après inhalation de vapeurs de peinture, de conservateurs ou de solvants. Cette maladie est très mal connue, y compris par les médecins généralistes. Par exemple, vous respirez des odeurs assez fortes qui vous donnent mal à la tête, gênent votre respiration mais sans que cela ne devienne insupportable. Puis les mois suivants, vous êtes incommodés par tout un tas d’odeurs qui n’ont pas forcément un lien avec les odeurs respirées précédemment. Cela peut entraîner un véritable syndrome dit d’intolérance aux odeurs chimiques. Nous fûmes parmi les premiers en France à le décrire avec une équipe de Lyon et de Paris-Cochin. C’est une véritable invalidité qui entraîne souvent, malheureusement pour les gens, un arrêt de travail prolongé, voire une inaptitude au travail. Heureusement, ce syndrome ne frappe pas beaucoup de monde. Ainsi, sur cent personnes intoxiquées par des vapeurs chimiques, seuls six ont développé une intolérance aux odeurs chimiques.
Parlons maintenant des troubles musculo-squelettiques (TMS) à travers un cas classique. Un docker de 35 ans se plaint depuis plusieurs mois de paresthésie (fourmillements, sensations de coups d’épingle, douleurs survenant de façon paroxystique, surtout la nuit, avec troubles du sommeil, touchant les trois premiers doigts, surtout l’index et le médius de la main droite chez un droitier) et peine à se saisir de petits objets. Devant de tels symptômes, on peut craindre une atteinte du canal carpien. Cette atteinte est due à un certain nombre de gestes, et ce n’est pas tant l’appui direct sur le nerf médian qui en est responsable, mais les gestes de préhension en force qui vous font solliciter les muscles fléchisseurs de la main. Ceux-ci passent dans un canal qui n’est pas extensible et quand les gaines de ce tendon sont gonflées, cela comprime le nerf médian.
Certains gestes professionnels sont traumatisants mais il n’y a pas que le geste qui pose problème. Il faut tenir compte du contexte, et un collègue angevin, le Professeur Roquelaure, nous rappelle qu’il faut agir sur tous les facteurs si l’on veut obtenir des résultats satisfaisants. Ainsi les travailleurs ont plus de risques de souffrir d’un TMS en cas de mouvements répétés et rapides, sans pause, sollicitant un petit nombre de muscles et tendons, s’ils doivent travailler dans des postures contraignantes, soulever des charges, subir des vibrations. Le mal-être au travail, les contraintes psychologiques, la non-reconnaissance jouent également un rôle. Je vous renvoie au tableau 57 des maladies professionnelles qui recense tous les TMS. Vous constaterez qu’il en existe beaucoup et il faut y ajouter ce qui met en jeu le rachis lombaire (tableaux 97 et 98). Dans ce cas, on ne parle plus de personnes souffrant d’un lumbago d’effort, mais de sciatiques, de cruralgies. Ceci frappe des personnes qui quotidiennement sollicitent leur force physique. Comme ils sont costauds, ils ne sentent rien sur le moment, mais au bout de quinze ou vingt ans, ils ont très mal à la jambe, ont des douleurs intolérables. Souvent on ne fait pas le lien avec l’activité professionnelle, peut-être parce que les tableaux dont je viens de parler ont été établis pour le port de charges lourdes ou pour les vibrations.
Parfois, le lien est très difficile à mettre en évidence. C’est le cas lorsque le délai d’apparition de la maladie est long voire très long. Pour les cancers professionnels, on peut avoir des délais d’apparition de plus de 40 ans avec un vieillissement sélectif de certaines fonctions.
Je ne peux pas résister au plaisir de vous parler du vieillissement et du travail. Expert devant le tribunal de contentieux d’incapacité, j’ai vu quelqu’un venir nous expliquer que les chaudronniers, qui demandaient à être reconnus en maladie professionnelle, étaient sourds parce qu’ils avaient vieilli précocement et parce que, ce sont les mots employés, ils étaient « tarés ». Cela m’a mis évidemment en colère !
Le problème de la détérioration de l’audition est le suivant : au début, dans une ambiance bruyante, on est gêné, mais au bout d’un certain temps, et c’est là qu’il faut s’inquiéter, on ne ressent plus de gêne parce que notre audition s’est détériorée petit à petit. Ces traumatismes sonores répétés entraînent des difficultés à suivre des conversations, à écouter la télévision ou de la musique. Est-ce un signe de vieillissement ou de maladie professionnelle ? L’Académie de médecine s’est prononcée, et je rends hommage au professeur Legent (ancien chef de service ORL du CHU de Nantes, académicien), qui a démontré avec l’aide de l’INSERM que le vieillissement n’est pas une explication acceptable : cette surdité professionnelle par traumatismes sonores répétés apparaît après un travail prolongé dans le bruit, indépendamment de la presbyacousie liée au vieillissement.
Il y a enfin les cancers. Certains sont malheureusement bien connus : les cancers liés à l’amiante, touchant les poumons ou la plèvre. Actuellement le mésothéliome pleural touche à 80 % des gens qui ont été exposés à l’amiante, la présence de calcifications pleurales signifiant systématiquement une exposition à ce produit. Le problème est que nous avons tous été exposés à l’amiante : enfant, on chauffait nos tartines à l’aide d’un grille-pain contenant de l’amiante !
Nous recevons quatre personnes par semaine pour cette maladie. Certains mettent en cause le tabac qui est un agent cancérogène. Si vous respirez de la fumée de tabac pendant des années, vous avez dix fois plus de chances d’avoir un cancer des poumons ; si vous respirez de l’amiante pur sans respirer par ailleurs du tabac, vous avez cinq fois plus de chances de développer cette maladie ; mais si vous avez les deux, alors là, c’est 50% voire 70 % de chances en plus d’avoir un cancer du poumon. J’insiste beaucoup sur ce caractère multifactoriel dans lequel la profession joue un rôle important puisqu’il peut être un facteur déclenchant.
De nombreux cancers (cutanés, touchant les poumons, la plèvre ou encore la vessie) peuvent être reconnus comme maladie professionnelle si les éléments de la présomption d’origine sont apportés par le sujet atteint et par son médecin déclarant.
Pour d’autres cancers, c’est plus délicat. C’est le cas de ceux liés à l’exposition aux gaz d’échappement de moteurs diesel chez les dockers. En épidémiologie, on parle d’un risque relatif. Après enquête, on s’est aperçu qu’il y avait 30 % de risques en plus de faire un cancer des poumons quand on est exposé au moteur diesel. C’est un chiffre analogue à celui que l’on trouve avec le tabagisme passif. Quatre études l’ont montré de façon évidente. D’autres maladies professionnelles sont quantitativement plus anecdotiques. Je pense au cancer du foie lié à l’aflatoxine qui est un cancérogène hépatique produit par une moisissure se développant notamment sur les arachides, mais aussi, et nous sommes là en pleine actualité, aux problèmes posés par les poussières radioactives, par le transport et l’alimentation de végétaux importés pouvant en contenir.
Venons-en pour finir à la question de la réparation. Je vais m’efforcer d’être très pratique.
Si vous souffrez de façon chronique d’une épaule et que le médecin-conseil de la caisse d’assurance-maladie vous refuse la prise en charge au titre des maladies professionnelles, prétextant par exemple qu’il ne s’agit que d’une névralgie cervico-brachiale, vous avez le droit de demander une expertise médicale. Celle-ci sera effectuée par un expert désigné conjointement par votre médecin traitant et le médecin-conseil de la caisse.
En cas de désaccord sur le taux d’incapacité décidé par le médecin-conseil, vous pouvez poser un recours devant le tribunal du contentieux de l’incapacité. Le salarié ne risque rien à faire un tel recours car le tribunal ne peut en aucune façon baisser son taux d’incapacité.
En France, il existe 98 tableaux de maladies professionnelles. Nous avons donc le système le plus élaboré au monde. Pourtant, nous sommes l’un des pays où l’on reconnaît le moins les maladies professionnelles. Simone Veil s’en était inquiétée en son temps et pour corriger cela, elle avait mis en place le système de réparation complémentaire. Si un grand nombre d’affections ne sont donc pas encore reconnues, elles peuvent l’être grâce au passage devant le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). Ce comité étudie les cas de maladies professionnelles hors tableaux, dès lors que le malade présente un taux d’incapacité permanente évalué à au moins 25 % par un médecin-conseil des caisses d’assurance-maladie. Les décisions de reconnaissance de maladie professionnelle hors tableaux sont prises par un collège constitué par le médecin du conseil régional de la caisse, le médecin-inspecteur régional du travail, un professeur de médecine et santé au travail, à partir du dossier de la caisse, de l’avis de l’inspecteur de la caisse primaire d’assurance-maladie, et d’un ingénieur du service prévention de la CARSAT. Elles le sont selon des critères scientifiques. Le salarié et l’employeur peuvent être présents et apporter des éléments susceptibles d’aider le comité à prendre sa décision. Or bien souvent les gens ne se déplacent pas. L’avis du médecin du travail est essentiel pour la reconnaissance.
Enfin, une dépression (voire un suicide ou une tentative de suicide) peut faire l’objet d’une déclaration de maladie professionnelle. Le déclarant doit fournir les éléments de preuve attestant qu’il est victime de harcèlement moral, que ses conditions de travail sont stressantes (contraintes de rapidité, concurrence forcenée…), et qu’il a à subir un management agressif. Le certificat d’un psychiatre ou du généraliste affirmant l’absence de pathologie psychiatrique auparavant, celui d’un médecin du travail affirmant la présence de problèmes au travail, sont nécessaires pour permettre aux membres du CRRMP de savoir si la dépression est liée ou non à l’activité professionnelle.
VÉRONIQUE DAUBAS-LETOURNEUX SOCIOLOGUE (UNIVERSITÉ DE NANTES)
La connaissance des liens entre le travail et la santé est complexe. Après l'approche médicale, nous vous proposons un éclairage sociologique et pluridisciplinaire sur la construction sociale des visibilités et des invisibilités des atteintes à la santé liées au travail, en partant plus précisément de la question des cancers d'origine professionnelle, compte tenu de l'alerte soulevée à ce sujet par l'APPSTMP 44.
- SANTÉ ET TRAVAIL : CONNAISSANCES, MÉCONNAISSANCES, RAPPORTS SOCIAUX -
La connaissance, la reconnaissance et la prévention des atteintes à la santé d'origine professionnelle passent par la connaissance du travail exposé aux différents risques dans les formes actuelles d’organisation du travail et de division des risques. Elles supposent aussi l’étude des limites de la réglementation actuelle en matière de reconnaissance et de prévention, et des obstacles à son application.
Dans l’approche sociologique qui est la mienne, ce que l’on appelle la « santé au travail » est inscrite dans le jeu des rapports sociaux, tant dans les conditions de survenue des atteintes à la santé que dans les conditions de mise en visibilité de ces atteintes dans l'espace social. Dans cette perspective, elle est un objet à observer sous l’angle des conditions de travail et celui des atteintes à la santé liées au travail.
- DES RISQUES CONNUS : CE QUE DISENT LES ENQUÊTES STATISTIQUES SUR LES CONDITIONS DE TRAVAIL EN FRANCE ET DANS L'UE -
Pour un rapide état des lieux de ce qui est connu en matière de risques professionnels, je vais m’appuyer essentiellement sur les résultats des enquêtes statistiques sur les conditions de travail. Ces enquêtes du ministère du Travail et de l'INSEE visent à cerner au plus près le travail réel, tel qu’il est perçu par le travailleur, et non pas le travail prescrit, tel qu’il peut être décrit par l’entreprise ou l’employeur.
- DES PÉNIBILITÉS PHYSIQUES QUI PERDURENT -
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’évolution des conditions de travail observée ces dernières décennies montre une persistance des risques liés à la pénibilité physique : port de charges lourdes et postures pénibles sont ainsi des caractéristiques décrites par respectivement 39 % et un tiers des salariés français.
Depuis plus de vingt ans, la tendance est à l’augmentation, même si une stagnation apparaît entre 1998 et 2005 pour les postures pénibles et le bruit. Sur ce point, en 1998 comme en 2005, 18 % des salariés déclarent « ne pas pouvoir entendre une personne située à deux ou trois mètres », ou ne l’entendre « que si elle élève la voix ». Cependant, la stagnation observée globalement cache des disparités sectorielles. La Dares (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques) note que les nuisances sonores progressent dans la construction ainsi que pour les ouvriers, groupe professionnel proportionnellement beaucoup plus exposé aux pénibilités physiques que les autres.
- UNE INTENSIFICATION DU TRAVAIL QUI SE MAINTIENT À UN NIVEAU ÉLEVÉ ET CONTINUE D'AUGMENTER POUR LES OUVRIERS -
L’intensification du travail, observée en France depuis le milieu des années 1980, s’est accentuée au fil des années 1990 et s'est maintenue à un niveau élevé durant les années 2000. Elle se caractérise par le cumul des contraintes de rythme de types industriel (travail « à la chaîne », normes quantitatives de production…) et « marchand », entraînant un travail dans l’urgence, au nom de la « satisfaction du client » ou des « exigences du public ». Si les résultats de la dernière enquête (2005) montrent une tendance à la stabilisation de ce phénomène, il reste élevé. Les enquêtes montrent que travailler sous des délais serrés, avec une forte répétitivité des gestes et de faibles marges de manoeuvre pour moduler son travail, a des implications sur une détérioration de la santé des salariés les plus exposés. Le développement des TMS questionne ainsi directement l'intensification du travail.
- RISQUES CHIMIQUES : DES EXPOSITIONS INQUIÉTANTES -
Les enquêtes SUMER (Surveillance médicale des risques professionnels) menées auprès des médecins du travail montrent que l’exposition des salariés aux agents chimiques a augmenté ces dix dernières années. La dernière enquête (2003) souligne que 2 370 000 personnes (13,5 % des salariés) sont exposées à un ou plusieurs produits cancérogènes. Ce sont majoritairement des ouvriers et des hommes, mais les femmes exposées sont nombreuses dans le secteur de la santé et des services personnels. En outre, l’enquête indique que la part des travailleurs exposés pour lesquels aucune prévention collective n’existe est loin d’être négligeable, notamment chez les ouvriers et les agriculteurs.
Les produits cancérogènes identifiés appartiennent aux catégories 1 ou 2A du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) ou aux catégories 1 ou 2 de la classification européenne. Les catégories 1 du CIRC et de la classification européenne sont les produits certainement cancérogènes pour l’homme. Les catégories 2A du CIRC et 2 de la classification européenne sont les produits probablement cancérogènes pour l’homme. Les huit principaux produits cancérogènes (représentant les deux tiers des expositions) sont les huiles entières minérales, le benzène, le perchloréthylène, le trichloréthylène, l’amiante, les poussières de bois, les gaz d’échappement diesel et la silice cristalline.
Le travail réalisé par l'APPSTMP 44 a mis en évidence que depuis 1992, sur les 362 dockers du port de Nantes–Saint-Nazaire, 99 ont été atteints de maladies graves (cancers et problèmes cardiaques en tête) et 46 en sont morts, dont une vingtaine avant leur 60 ans. La plupart ont longtemps manipulé, sans protection, des céréales traitées aux pesticides, des bois tropicaux « aspergés de fongicides », des fruits ou des légumes traités, des engrais en sacs ou en vrac, de la ferraille en vrac, sans compter les gaz d'échappement de leurs engins de manutention.
Grâce aux éléments recueillis dans le dossier de l'un d'eux, atteint d'un cancer et dont la procédure de reconnaissance en maladie professionnelle est en cours, on peut faire ressortir les éléments suivants :
- La polyvalence et la diversité des lieux de travail : « Par la diversité des marchandises et l'organisation du travail, je changeais quasi en permanence de poste de travail (polyvalent) : conducteur d'engins (chariots élévateurs depuis 1989, engins de chantier depuis 1984), chef de panneaux (faiseur de signes depuis 2000), docker calier depuis 1975. (…) [On travaillait] sur les bateaux, mais aussi sur le bord à quai, sur les zones de stockage et dans les hangars de stockage ».
- L'absence de protection : « Pour faciliter le travail des dockers,
des engins de manutention diesel (chouleur diesel et petit chariot
diesel à benne) circulaient en permanence dans les cales avec
une fumée d'échappement stagnante : pendant toute ma carrière,
j'ai travaillé dans ces bateaux d'engrais en vrac » ; « Avant 1990
nous travaillions sans masque de protection, de 1990 à 1997, on nous fournissait des masques alimentaires et à partir de 1997, on a eu des masques de protection adaptés. »
- Les expositions : Agrumes du Maroc, fruits à l'exportation (pommes) : traités avec des conservateurs (forte odeur d'éther) ; stockés dans des cales de bateau réfrigérées. Bois : « Jusqu'en 2005, les dockers du port de Nantes déchargeaient les paquets de contreplaqués et les fardeaux de bois exotique (Asie, Brésil, Afrique) et du Canada à l'élingue. Tous les bois déchargés à Nantes subissaient des traitements de protection (fongicide autoclave, solvants, etc.) dans leur pays d'origine. Quand ils arrivaient à Nantes, une forte odeur se dégageait des cales, imprégnant les vêtements de travail, sans parler des fortes fumées d'échappement des chariots élévateurs dans les cales. Les bois du Nord et de Russie sont toujours actuellement déchargés de la même façon ; les fardeaux sont également imprégnés de produits de traitement. »
Engrais en sacs de 50 kg jusqu'en 1992 : « Bien souvent les sacs étaient percés et nous respirions la poussière d'ammonitrate à pleins poumons, nous n'avions pas de masque de protection. Par cale et par équipe, nous déchargions 500 tonnes/j et 30 000 tonnes en une année. » Depuis 1992, le conditionnement de l'ammonitrate se fait en sac de 500 kg. Ils sont manutentionnés à la grue après l'accroche en cale par les dockers et transférés dans les camions ou hangars avec chariot élévateur diesel.
Engrais en vrac (phosphate, nitrate, soufre, sulfate de fer, tourbe, etc.), ferraille en vrac et fonte en vrac ou en lingots : une poussière noire se dégage, des tas sont manipulés sans masque de protection avant 2002. Une première recherche bibliographique, réalisée avec l'aide de Véronique Aubert, chargée de mission à l'Observatoire du droit des marins (Université de Nantes), fournit assez peu d'éléments sur les liens entre travail et santé chez les dockers. On relève toutefois que la section des dockers de la Fédération internationale des travailleurs des transports (ITF) mentionne le thème « santé, sécurité et environnement » parmi les points d'intérêt à défendre aux côtés des syndicats de dockers affiliés. Sur son site Internet, ce thème est ainsi développé : « Même si de nombreux ports se sont considérablement améliorés sur ce point, la santé et la sécurité restent l'un des principaux sujets de préoccupation. Cette situation est liée à l'introduction de nouvelles technologies, au désir d'augmenter la productivité, à l'augmentation des volumes et dimensions des navires ainsi qu'à l'apparition de nouvelles cargaisons chimiques et dangereuses. Il est indispensable de prévoir des formations professionnelles adéquates et d'établir des normes de santé et de sécurité internationales. »
- DES ATTEINTES MÉCONNUES - CANCERS PROFESSIONNELS : UNE INVISIBILITÉ SOCIALEMENT CONSTRUITE -
Sur l'ensemble des maladies recensées par l'association sur le port de Nantes–Saint-Nazaire, combien de maladies professionnelles reconnues ?
- PRINCIPE ET LIMITES DE LA PRISE EN CHARGE INSTITUTIONNELLE DES MALADIES PROFESSIONNELLES -
L’histoire de la prise en charge des cancers professionnels s’intègre à celle des autres maladies professionnelles. Elle apparaît au XIXe siècle avec la société industrielle. Une idée s’impose : certaines professions exposent à un risque spécifique de maladie, et celle-ci doit être réparée par l’employeur qui, par des mesures préventives, doit tenter de les éviter afin de préserver la santé de ses employés.
La loi du 25 octobre 1919 a étendu aux victimes de maladies professionnelles les dispositions de la loi du 9 avril 1898 concernant les accidents du travail. L’article 2 stipule que « sont considérées comme maladies professionnelles les affections aiguës ou chroniques, mentionnées aux tableaux annexés à la présente loi, lorsqu’elles atteignent des ouvriers habituellement occupés aux travaux industriels correspondants ». L’article 5 précise que « toute maladie professionnelle dont la victime demande réparation en vertu de la présente loi doit être, par ses soins déclarée, dans les quinze jours qui suivront la cessation du travail, au maire de la commune qui en dresse procès-verbal et en délivre immédiatement récépissé ». Si au niveau collectif le lien entre exposition professionnelle et maladie peut être apporté en terme probabiliste, pour un malade donné, la difficulté réside dans le fait d’établir la preuve d’une cause professionnelle. La loi s’est affranchie de cette difficulté par la présomption d’imputabilité : le doute bénéficie au malade. En contrepartie, la réparation des maladies professionnelles n’est pas intégrale. Comme toute maladie professionnelle, le cancer d’origine professionnelle est une entité médico-administrative. Sa définition résulte d’un consensus entre partenaires sociaux. Le législateur fixe la liste des maladies professionnelles indemnisables sous forme de tableaux. Cette liste est très restrictive, ne comprenant en 1919 que le saturnisme (plomb) et l’hydrargyrisme (mercure).
La loi du 30 octobre 1946 a donné à la Sécurité sociale la gestion des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Actuellement, chaque tableau de maladie professionnelle est composé de trois colonnes. La première comporte les symptômes ou lésions pathologiques que doit présenter le malade, la seconde indique le délai de prise en charge (c’est-à-dire le délai maximal entre la cessation d’exposition au risque et la première constatation médicale de la maladie pour que la présomption d’origine puisse s’appliquer), la troisième comprend les travaux susceptibles de provoquer l’affection. L’histoire des maladies professionnelles nous montre le rythme extraordinairement lent de l’adoption de tableaux de maladies professionnelles concernant les cancers.
Les données fournies par la Sécurité sociale sur les maladies professionnelles reconnues en 2005 montrent la très forte part des TMS dans celles-ci (près de 75 %). Au deuxième rang apparaissent les affections liées à l'amiante (14 %), puis au dos (5 %). Les cancers le sont à 89 % sur des tableaux Amiante (1 800 cas reconnus en 2004), attestant des mobilisations sociales liées à l'amiante. À côté, le nombre de cancers professionnels reconnus stagne autour de 200 cas par an.
Cette connaissance statistique ne donne à voir qu'une partie des atteintes à la santé d'origine professionnelle. Si les TMS et les maladies dues à l'amiante connaissent ainsi une forte visibilité, il faut rappeler ici trois choses. Leur reconnaissance est l’aboutissement d’un long processus historique. L’existence de tableaux de reconnaissance n’implique pas pour autant une reconnaissance de toutes les atteintes s’y rapportant. Ainsi, deux tiers des TMS signalés par les médecins comme maladie à caractère professionnel (catégorie non liée à l’indemnisation mais dont le signalement est une obligation, stipulée dans le Code de la Sécurité sociale, pour tout docteur en médecine) relèveraient normalement d’une déclaration comme maladie professionnelle indemnisable. Ces atteintes peuvent, par leur visibilité, contribuer à en masquer d’autres. Concernant les cancers, le réflexe est de rechercher une exposition à l’amiante pour s’assurer la prise en charge du cancer en maladie professionnelle, quand bien même ce cancer pourrait être associé à d'autres expositions. Ceci laisse alors non questionnées d’autres expositions professionnelles, voire les effets de synergie pouvant résulter d’une poly-exposition à plusieurs agents cancérogènes.
- UN ENJEU DE SANTÉ PUBLIQUE -
Selon les estimations de l’Institut national de veille sanitaire (INVS), 4 % à 8,5 % des cas de cancers par an seraient liés à des expositions professionnelles. Ces estimations sont basées sur des données d’exposition de la population masculine française lorsqu’elles sont disponibles, et sur des estimations de fractions attribuables issues de la littérature internationale. Le calcul des fractions attribuables repose sur des hypothèses et des incertitudes concernant les valeurs des risques relatifs, et la prévalence de l’exposition. Bien que la part des cancers chez les femmes pouvant être attribuée à des facteurs professionnels soit probablement moindre que chez les hommes, elle demeure donc méconnue et mésestimée.
D'après les estimations de l'INVS, on note un net écart entre le nombre de cancers attribuables à des expositions professionnelles et le nombre de cancers reconnus en maladie professionnelle. Les cancers du poumon d’origine professionnelle seraient compris entre 2 500 et 5 000 annuellement. En 1999, 458 cancers du poumon ont été réparés au titre des maladies professionnelles en France par le Régime général de la Sécurité sociale (RGSS). Les cas incidents de mésothéliome imputables à une exposition professionnelle à l’amiante chez les hommes en France ont été estimés entre 537 et 578 nouveaux cas pour l’année 1998.
Le nombre de mésothéliomes reconnus au titre des tableaux de maladies professionnelles par le RGSS était de 297 en 1999. Les cancers de la vessie attribuables à des expositions professionnelles ont été estimés entre 625 et 1 110 cas, or le nombre de ces cancers réparés dans le cadre du RGSS était égal à 7 en 1999. Les cancers du nez et des sinus attribuables à une exposition professionnelle en France étaient estimés entre 60 et 102 annuellement. En 1999, 67 cancers de l’ethmoïde et des sinus de la face avaient été reconnus par le RGSS. Les leucémies attribuables à une exposition professionnelle sont estimées entre 112 à 413 en 1995 chez les hommes en France. En 1999, 27 cas ont bénéficié d’une reconnaissance en maladie professionnelle par le RGSS. À côté de cette importante sous-réparation, il faut souligner que le taux annuel de mortalité précoce (45 à 54 ans) par cancer est quatre fois plus élevé chez les ouvriers que chez les cadres et professions intellectuelles. La France détient le record européen d’inégalité de mortalité masculine par cancer avant 65 ans.
- TROIS SOURCES D'INVISIBILITÉ DES CANCERS D'ORIGINE PROFESSIONNELLE -
Selon Annie Thébaud-Mony, cette invisibilité puise à trois sources :
- L’ignorance toxique
- L’invisibilité physique
- L’invisibilité sociale
- L'IGNORANCE TOXIQUE : MÉCONNAISSANCE DE LA TOXICITÉ DES SUBSTANCES CHIMIQUES PRÉSENTES DANS L'ACTIVITÉ DE TRAVAIL -
« L’ignorance toxique tient tout d’abord à la très grande méconnaissance de la toxicité des substances chimiques présentes dans l’activité de travail. (…) Selon l’Agence américaine de protection de l’environnement, seulement 7 % des substances introduites dans la production industrielle ont fait l’objet d’une recherche de toxicité dont les données sont disponibles. À ces substances, il faut ajouter les pollutions issues du processus de production lui-même, sous forme de poussières, de fumées, de gaz, de rayonnements, dont la toxicité est loin d’avoir été systématiquement étudiée. (…) La toxicologie industrielle est une discipline quasi inexistante dans de très nombreux pays dont la France, ce qui limite grandement la possibilité de mobiliser les études de toxicité indispensables. Quant à l’épidémiologie, elle connaît d’importantes limites, notamment au regard de la précarisation du travail. Ceci peut être illustré par l’enquête internationale sur les cancers dus à l’exposition aux rayonnements ionisants chez les travailleurs de l’industrie nucléaire (Cardis, 2005), enquête qui, pour des raisons méthodologiques, a exclu les travailleurs sous-traitants et intérimaires qui pourtant subissent plus de 80 % de l’exposition aux rayonnements ionisants reçue sur les sites nucléaires. Cette mise à l’écart de la population la plus exposée – mais précaire – met en évidence l’angle mort de la démarche épidémiologique dès lors que la population recensée ne prend pas en compte la réalité de l’inégale répartition des risques. » (Thébaud-Mony A., 2008, « Construire la visibilité des cancers professionnels. Une enquête permanente en Seine-Saint-Denis », Revue française des Affaires Sociales, 2008/2, n°2-3., p. 240-241)
- UN DÉLAI DE LATENCE QUI PEUT ÊTRE LONG : L'INVISIBILITÉ PHYSIQUE-
« L’invisibilité physique des cancérogènes réside dans le fait qu’ilséchappent en tant que risque mortel à la perception immédiate des travailleurs : les poussières, les fumées, les gaz, les radiations d’irritation, de gênes et autres symptômes considérés comme bénins. La mesure du danger échappe aux personnes exposées puisqu’elle dépend d’outils techniques généralement détenus par des organismes spécialisés. Quant aux conséquences, elles ne seront perceptibles que des années ou des décennies plus tard. Cette invisibilité physique est renforcée par l’accès souvent difficile à l’information sur les cancérogènes présents dans le travail, en particulier lorsqu’il s’agit non pas de produits étiquetés mais des cancérogènes directement issus du processus de production, comme dans le cas des fumées de combustion ou des fibres d’amiante ou de silice respirées à l’occasion des chantiers de démolition notamment dans le secteur du BTP. » (Thébaud-Mony, p. 242)
- LA DIFFICILE TRAÇABILITÉ DES EXPOSITIONS PASSÉES : L'INVISIBILITÉ SOCIALE-
« L’invisibilité sociale est celle qui résulte de la non-application de règles en vigueur concernant l’obligation faite aux employeurs de déclarer les produits et procédés conduisant à maladie professionnelle (Code de la Sécurité sociale, article L. 461-4) ou d’établir une attestation d’exposition dans tous les cas où un salarié a été exposé à des produits cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (décret CMR n° 2001-97 du 1er février 2001). Elle résulte aussi du caractère restrictif de la réparation des cancers professionnels en France. » (Thébaud-Mony, p. 242)
Le décret CMR met aussi l’accent sur la conservation d’un dossier médical détaillé mentionnant l’exposition aux cancérogènes et les examens médicaux pratiqués. Ce dossier est censé être archivé pour 50 ans par le service de santé au travail ou, en cas de disparition de l’entreprise, par l’inspecteur médical régional du travail.
Les documents ainsi établis (dossier médical et attestation d'exposition) auraient dû et devraient pouvoir constituer les bases d’une mémoire évolutive des expositions professionnelles aux cancérogènes. Pourtant, lorsqu’il s’agit de tenter de prendre appui sur cette mémoire dans le cadre d’enquêtes sur les cancers professionnels, soit à titre individuel (déclaration de maladie professionnelle) soit dans une perspective scientifique ou de prévention, cette mémoire fait défaut. En l’absence de cette mémoire, différents types d’approche sont aujourd’hui nécessaires pour rendre compte de l’exposition à des substances, procédés, situations cancérogènes, dans l’activité réelle de travail. Les unes visent une estimation extensive de la population exposée : c’est le cas des enquêtes SUMER. Les autres prennent en compte la dimension temporelle et cumulative de l’histoire d’exposition inscrite dans le parcours professionnel, ce dont va vous rendre compte l’intervention de Christophe Coutanceau.
CRISTOPHE COUTANCEAU CHARGÉ D'ÉTUDE AU GISCOP 93 ET À L'UNIVERSITÉ PARIS 13
Le GISCOP 93, réseau de compétences fondé par Annie Thébaud-Mony et dirigé par Émilie Counil est un groupement d’intérêt scientifique (GIS), ce qui signifie que les membres de ce groupement se sont associés en raison de leur intérêt pour l’objet étudié : les cancers professionnels.
À partir d’un constat commun, à la fois scientifique (chercheurs en santé publique) et politique (acteurs territoriaux et nationaux), s’est constitué un réseau, puis une association et enfin le GIS. Au niveau opérationnel, le GISCOP 93 est un laboratoire dans lequel les chercheurs étudient les cancers professionnels en s’appuyant sur l’expérience des patients diagnostiqués par les professionnels de santé de trois hôpitaux de Seine-Saint-Denis associés à l’enquête permanente.
- LE TRAVAIL D'ENQUÊTE DU GISCOP 93 -
Cette enquête consiste à rencontrer, s’ils y consentent, les patients atteints de cancer signalés par les médecins au GISCOP 93, et à les interroger sur l’ensemble de leur parcours professionnel, dans le but de leur faire décrire précisément leur activité de travail, les méthodes mises en oeuvre, les outils et les produits utilisés, ainsi que les conditions de travail. Le parcours est découpé en périodes d’emploi et en postes, auxquels sont associées les descriptions correspondantes déclarées par le patient pendant son entretien. Un entretien dure entre 45 minutes et une heure et demie en fonction de la complexité du parcours et de l’état du patient. Il se déroule à l’hôpital ou à domicile. Une première partie du travail de connaissance ainsi effectuée concerne l’enregistrement des conditions et de l’activité de travail. Cette démarche prend en compte l’ignorance des substances auxquels les patients ont été exposés : il ne s’agit pas de faire appel à leur propre évaluation de l’exposition, mais bien de recueillir les faits de leur activité et conditions de travail. L’enquêteur établit ensuite un compte-rendu de l’entretien sous forme de tableau où figurent en ligne les différentes périodes, et en colonnes, les noms des entreprises, durée d’emploi, emploi, poste et descriptif détaillé de l’activité. Un mois de travail d’enquête représente cinq à quinze entretiens, examinés lors d’une séance au début de chaque mois par nos experts des expositions et des conditions de travail (ingénieur ou contrôleur CRAM, médecins du travail, élu CHSCT, ingénieurs INRS, toxicologues…). En fonction de leur connaissance, ils qualifient les expositions (substances et formes) et les cotent (probabilité, intensité, fréquence, pics, durée). Ils effectuent ces opérations en aveugle de la pathologie. À la fin de l’expertise d’un cas, la pathologie est dévoilée et ils préconisent après discussion une orientation de tableau pour la déclaration en maladie professionnelle en fonction des chances de succès estimées. À l’issue de cette séance d’expertise, les informations de chaque patient sont saisies et codées dans la base de données de l’enquête permanente.
L’ensemble de ces informations d’exposition et d’orientation vers un tableau de déclaration est renvoyé sous forme d’une note vers les services de soin, à destination du médecin traitant qui rédige le certificat médical initial, pièce administrative indispensable à la déclaration en maladie professionnelle. Ce dernier est renvoyé au patient à qui il revient d’engager la démarche de déclaration. Une partie de l’enquête au GISCOP 93 est dédiée au suivi de la déclaration de ces patients éligibles afin d’étudier le fonctionnement de cette procédure administrative et son traitement par les services concernés. Il est à souligner qu’en Seine-Saint-Denis, la Caisse primaire d’assurance-maladie a signé une convention de collaboration avec le GISCOP 93 sur ce sujet. Le recueil des informations passe par de fréquents contacts avec les patients, si bien que cette phase de l’enquête représente autant un accompagnement, nécessitant une construction relationnelle en vue de réaliser le suivi de la déclaration, qu’une recherche. Dans les cas litigieux, la recherche-action se prolonge par la collaboration avec un cabinet d’avocats spécialisés dans les affaires sociales, cette phase de recueil d’information appelant également un suivi.
Concernant la prévention, le GISCOP 93 a choisi d’étudier les règles et pratiques de la prévention des expositions aux cancérogènes en milieu de travail, notamment en accompagnement des préventeurs sur le terrain lors de leurs interventions ou en groupe de travail sur des expositions particulières, et ce par voie de convention de recherche entre GISCOP 93 et ces services. Le constat est que vis-à-vis des cancérogènes, la prévention va rarement jusqu’à son terme, c’est-à-dire la suppression du risque ou la sanction de l’employeur. D’autre part, des appels d’offres nous ont permis d’étudier la question de l’impact de la soustraitance et de l’intérim sur la prévention des cancers professionnels. Nos résultats confirment que ce type d’organisation prend à contre-pied l’organisation institutionnelle de la prévention et que les populations des travailleurs intérimaires et sous-traitants sont généralement plus exposées, alors que les actions de prévention ne les touchent pas.
- LE TRAVAIL DE L'APCME -
L’APCME est l’Association des médecins généralistes utilisateurs du SIC (Système d’information concret), pour la prise en charge des maladies éliminables. L’objectif de cette association est l’assainissement des postes de travail (c’est-à-dire la suppression du risque ou de l’exposition en cause) qui ont donné lieu à des cas avérés de maladie professionnelle. L’atteinte de cet objectif suppose l’existence d’un dispositif d’information constitué par une étape de détection (chez le médecin généraliste), de documentation des lieux de travail et des expositions (à partir de la connaissance du patient/ouvrier et/ou du CHSCT) et la localisation géographique (de l’entreprise et à l’intérieur de l’entreprise, du lieu précis de travail) de ces expositions aux risques. C’est la raison d’être du SIC, dans lequel les informations sont collectées selon un parcours et des procédures répétées dans chaque cas. Ce système a été mis en place à partir du constat d’échec, pour la prévention, du système d’information classique (les statistiques des maladies professionnelles de l’assurance-maladie) dont l’objectif est l’indemnisation des maladies professionnelles, pas leur prévention.
L’APCME, comme le GISCOP, est un réseau dans lequel tous les acteurs ont leur importance. J’en cite trois pour faciliter la recherche de références : Marc Andéol (cartographe, chargé du pôle SIC), Dr Gilbert Igonnet (membre du bureau de l’association) et Ivar Oddone (concepteur de la méthode de recueil et d’organisation des données).
- LE PARCOURS DE DOCUMENTATION DES CAS -
C’est un outil permettant au médecin généraliste du bassin de Fos de pouvoir tester un soupçon d’imputabilité d’une atteinte de santé au milieu de travail. Ce soupçon déclenche l’entretien avec l’enquêteur ou cartographe, chargé de recueillir auprès du patient la description de toute activité de travail pouvant exposer à un risque parmi quatre classes de risques. Un questionnaire (contenant la grille des quatre groupes de facteurs) permet de confronter les premières constatations médicales à des indicateurs de risque, souvent suffisants pour rechercher des cas analogues dans la « galerie des cas ».
Un pôle de « cartographie du risque » (qui travaille en relation avec une « banque d’informateurs »), responsable des archives et des procédures, vérifie les données collectées. Si nécessaire (cas complexe, poste de travail mal connu ou mal identifié), le cartographe provoque un entretien « face-à-face » avec la personne concernée. Les spécialistes des domaines concernés par les questions à affronter pour résoudre le cas (médecine du travail, toxicologie et hygiène industrielle, ergonomie, etc.) sont consultés si nécessaire. Si l’imputabilité de la maladie au facteur de risque est confirmée, ou ne peut pas être exclue avec certitude, le médecin généraliste qui a déclenché le parcours en fait la déclaration. On ne se limite pas à remplir un formulaire de déclaration de maladie professionnelle, on « déclare » aussi le poste de travail : un exemplaire de la fiche est transmis aux représentants du personnel ou du CHSCT afin de provoquer l’enquête obligatoire.
- LA GALERIE DES CAS -
C’est la mémoire de tous les cas réels du territoire réel pris en charge par les médecins du réseau. C’est une mémoire informatisée, « en réseau », conçue pour être en interaction avec la mémoire individuelle de chaque médecin (et de chaque acteur du réseau). Elle met à leur disposition non seulement les données relatives aux cas, mais aussi les commentaires sur ces données. Trois objectifs essentiels ont guidé sa construction : permettre l'accès du généraliste aux données sur les cas réels du territoire réel, d’où la nécessité de construire un langage empirique, certainement non figé, compréhensible par tous ; construire une « mémoire cumulative », c'est-à-dire une mémoire de tous les médecins de l'association, des autres experts, de tous les citoyens, plus riche que celle de chaque médecin singulier, basée sur les cas reconnus ; placer chaque utilisateur en condition d'identifier le plus vite possible, par la consultation de cas analogues, la possibilité d'un rapport entre le milieu de travail et la santé.
- LA CARTE DES RISQUES -
Pour connaître les postes de travail concrets et spécifiques, l’enrichissement de la base de données se fait depuis la « fenêtre » de ceux qui y travaillent. Ce que l’on voit dans chaque milieu de travail depuis la fenêtre des ouvriers ne se réduit pas à ce qu’on y voit depuis la fenêtre du seul médecin ou des seuls experts du domaine : on doit reconnaître la validité de toutes ces « vues » pour vérifier la validité des problèmes et rechercher des solutions adéquates.
Le SIC s’appuie sur des outils procéduraux qui peuvent permettre de transférer, de la tête de l’ouvrier à une carte utilisable par tous, les éléments essentiels permettant de comprendre comment le risque s’est « réalisé » dans la spécificité de la situation singulière où il est apparu. En effet, la possibilité de voir le cas se répéter dans d'autres contextes n'est pas à rechercher par généralisation, mais par analogie.
Hier, le métier pouvait permettre d’accéder à la cause professionnelle d’une affection (le cancer du ramoneur, la silicose du mineur, l’asthme du boulanger, l’eczéma du maçon, etc.). Aujourd’hui, l’évolution des technologies et des formes d’organisation du travail (sous-traitance et intérim), la polyvalence des opérateurs, les progrès même de la prévention, demandent l’utilisation de catégories concrètes. La connaissance des postes de travail singuliers, identifiés « sur le terrain », est devenue déterminante.
- LE COMITÉ TERRITORIAL D'ASSAINISSEMENT, ORGANISATION DE L'ACTION POUR LA PRÉVENTION -
Il est formé de représentants de tous les groupes concernés : travailleurs atteints, médecins utilisateurs du SIC, représentants des CHSCT du territoire, inspecteurs du travail, représentants des organismes impliqués dans la démarche, élus du territoire. L'objet du comité est d'utiliser et d'enrichir une mémoire informatisée des atteintes imputables au milieu de travail. À l’entrée en vigueur de ce comité, n’existe que la seule mémoire du SIC (« galerie des cas » et « cadastre »). À terme, dans un système unique, « officiel », existera une mémoire capable d'intégrer toutes les données utiles pour identifier, dans chaque cas individuel, le scénario qui a conduit à transformer un danger en atteinte avérée à la santé (connaissance), afin d'éviter sa répétition, au poste de travail en cause ou dans des conditions similaires (action d’assainissement, de prévention).
Ces deux dispositifs révèlent la nécessité de recueillir et d’organiser les données et la connaissance des lieux de travail et des expositions provenant de cette source essentielle qu’est l’expérience des salariés. Puis de la combiner aux autres données déjà existantes pour endiguer les maladies professionnelles. Cette expérience a été largement sous-estimée, voire niée, depuis la prise en main exclusive de l’organisation du travail par les employeurs. Y compris par les organes de représentation des salariés eux-mêmes, tel les CHSCT. Même l’université sousestime cette forme de savoir.
Quels que soient les objectifs de conception ou du retour d’expérience dans les entreprises, ce qui est le plus souvent recherché étant un progrès de productivité, cette source de connaissance doit désormais être mise à profit pour la prévention.
- ANALYSE DE VINGT-QUATRE CAS DE DOCKERS DU BASSIN DE FOS À PARTIR DE LA GALERIE DES CAS DU SCI DE L'APCME -
Cette étude constitue un exemple d’exploitation de la mémoire du SIC pour la partager avec d’autres salariés portuaires. La recherche dans la base de données se fait à partir d’un module de recherche. La frappe dans la fenêtre de saisie du mot-clé « docker » donne accès, dans la galerie des cas, à vingt-quatre fiches portant la mention docker.
Chaque fiche-cas se présente sous la forme d’une feuille avec une cartouche d’identification en haut à gauche contenant le n° de client (médecine), la date de naissance, le sexe, le médecin prenant en charge, les fonctions lésées, les maladies professionnelles déclarées et le résultat, le statut d’activité du patient, la mention de postes multiples, du risque différé, si le cas est emblématique ou pas et enfin les dates d’insertion et de mise à jour du cas.
La fiche de cas se décompose dans sa partie principale en deux parties : la partie « notes du médecin » et la partie « feuille d’accompagnement » (information venant du patient) ou « enquête » (contact d’informateurs du réseau pour documenter le cas). En synthèse, on note pour ces vingt-quatre cas une durée d’emploi au poste de docker de dix à trente ans. Les lieux de travail sont les quais minéraliers et d’entreprise, les terminaux pétroliers, les cales des navires.
Les tâches qui reviennent le plus souvent sont : former des palanquées de sacs d’amiante à accrocher au câble ; dégager le coke de pétrole ou le minerai des mailles et des membrures (structures de la cale) à la pelle et à la main ; pose et dépose de joints d’étanchéité de bras de chargement ; déchargement de produits en vrac à la pelle ; conduite d’engins en cale (moteurs en marche…).
Les expositions aux risques sont multiples du fait de la polyvalence des dockers : poussières (amiante, ciment, charbon, nickel, phosphates, ferrochrome, bauxite, coke, chrome, zirconium, manganèse, blende, soufre, alumine, pyrite, clinker, argile, brai), soja, tourteaux, engrais, céréales, blé, copra, arachide, colza, fongicides, vapeur de solvants et de produits pétroliers, gaz d’échappement, postures, bruits…
Les fonctions atteintes dans ces vingt-quatre cas sont respiratoires (plaques pleurales, asbestose, asthme, BPCO), locomotrices (travaux lourds et intenses) et auditive.
Déclarations en maladie professionnelle : 22 déclarations pour 17 personnes (5 personnes déclarant sur deux tableaux différents), 14 déclarations en tableau 30 ou 30bis (cancers, asbestose, lésions pleurales), 4 déclarations en tableau 42 (surdité), 4 déclarations sur tableau 94 (Broncho Pneumopathies Chroniques Obstructives).
Dans un cas paradigmatique, on note les commentaires de l’ouvrier interrogé : « Le risque d’enfouissement pendant le travail en cale (par exemple lors du déchargement de charbon, ou lorsqu’en cale, les murs de tourteaux peuvent s’écrouler) (…) lorsque des palanquées de sacs sont formées pour les guider ou les attraper, le docker utilise un crochet : les sacs peuvent se déchirer (…) Il arrive d’autre part que des sacs s’ouvrent pendant la manutention, déversant leur contenu en dessous (…) Les engins en cale peuvent aussi être déséquilibrés et se renverser (…) En grande quantité, le charbon pouvait prendre feu (…) Dans un engin à godets pour déchargement de soufre, un nuage de poussière enveloppe l’engin, étincelle, feu comparable à celui de l’alcool à brûler : il a fallu que je saute et qu’on me plonge dans l’eau. »
N° du tableau | Localisation du cancer | Cancérogène en cause | Durée d’exposition | Délai de prise en charge | Date de création | Date de dernière mise à jour |
---|---|---|---|---|---|---|
4 | Leucémie | Benzène | 1 an | 15 ans | 1931 | 1987 |
6 | Leucémie Poumon Sarcome osseux |
Rayonnements ionisants | - | 30 ans 50 ans |
1931 | 1984 |
10 ter | Poumon Cavités nasales |
Acide chromique, chromate | 5 ans 10 ans |
30 ans | 1984 | 2003 |
15 ter | Vessie | Amines aromatiques | 10 ans | 30 ans | 1995 | - |
16 bis | Peau Poumon Vessie |
Goudrons, huiles et brais de houille | - 10 ans 10 ans |
20 ans 30 ans |
1988 | 1995 |
20 | Peau Angiosarcome du foie |
Arsenic | - | 40 ans | 1942 | 1985 |
20 bis | Poumon | Arsenic | - | 40 ans | 1985 | 1987 |
20 ter | Poumon | Arsenopyrites aurifères | 10 ans | 40 ans | 1997 | - |
25 | Poumon | Silice cristalline | 5 ans | 35 ans | 1945 | 2003 |
30 | Poumon Mésothéliome |
Amiante | 5 ans | 35 ans | 1950 | 2000 |
30 bis | Poumon | Amiante | 10 ans | 40 ans | 1996 | 2000 |
36 bis | Peau (épithélioma primitif) | Dérivés du pétrole | 10 ans | 30 ans | 1989 | - |
37 ter | Ethmoïde et autres sinus de la face Poumon |
Nickel | - | 40 ans | 1987 | - |
44 bis | Poumon | Oxyde de fer | 10 ans | 40 ans | 1992 | 2000 |
45 | Foie (carcinome hépatocellulaire) | Virus des hépatites B et C | - | 30 ans | 1967 | 1999 |
47 | Fosses nasales Ethmoïde et autres sinus de la face |
Poussières de bois | 5 ans | 40 ans | 1967 | 2004 |
52 | Angiosarcome | Chlorure de vinyle | - | 30 ans | 1972 | 1991 |
70 ter | Poumon | Cobalt associé au tungstène | 5 ans | 35 ans | 2000 | - |
81 | Poumon | Bis (chlorométhyle) éther | - | 40 ans | 1987 | - |
85 | Cerveau (glioblastome) | Nitrosoguanidines, nitrosourées | - | 30 ans | 1987 | - |
SERGE DOUSSIN SECRÉTAIRE DE L'APPSTMP 44
Une réflexion sur le thème du droit à la santé au travail ne peut pas se conduire sans un lien étroit et permanent avec l’organisation du travail sur les quais, les règles et les rythmes inhérents à la profession de dockers ou d’agents d’exploitation du Grand port maritime (GPM) de Nantes–Saint-Nazaire Atlantique, successeur du Port autonome de Nantes–Saint-Nazaire.
- REGARD HISTORIQUE SUR LES MÉTIERS PORTUAIRES -
La profession de docker se caractérise par la dureté du métier, sa dangerosité, et un engagement durable de la profession dans les luttes sociales pour la défense de ses droits collectifs. La réforme du statut des dockers en 1992 est une date souvent évoquée. Elle est présente dans la conscience collective de la profession, et plus largement dans l’esprit de celles et ceux qui, de près ou de loin, sont acteurs ou témoins du mouvement social. Mais s’en tenir à cette période reviendrait incontestablement à porter un regard très restrictif sur l’histoire des dockers et de leur engagement dans la construction de garanties collectives. Or, les dockers ont montré depuis bien longtemps leur capacité à changer la donne et ce, dans le sens des intérêts des salariés. Cette pugnacité des professions portuaires ne doit rien au hasard : son origine est à rechercher dans la nature même de leur contrat de travail.
Les salariés dockers sont des intermittents. La précarité et l’insécurité du lendemain rythment leur travail sur les quais. Cette réalité est une donnée permanente qui a accompagné de tout temps l’emploi des dockers, pour l’évidente raison qu’il dépend du passage des navires dans le port. Cette condition sociale a nourri une histoire, une culture, une façon d’être et de se comporter. De l’origine de la profession jusqu’en 1947, les périodes de chômage ne sont pas indemnisées. Le réflexe qui en découle est de gagner le maximum le jour où des navires sont à charger ou décharger, car personne ne sait de quoi demain sera fait. Les enjeux sociaux, de salaires, d’emploi, se posent dans l’urgence, et les réponses doivent être immédiates. Elles ne peuvent être remises à demain.
Pour attester de la permanence de cette culture portuaire, voici quelques paroles entendues lors de la préparation de cette conférence : « Gagner aujourd’hui ce que nous pouvons gagner ! Demain, on ne sait pas ! » Soulignons que des conditions sociales similaires (ici, intermittence et précarité de l’emploi) produisent les mêmes réactions, les conflits sociaux impliquant des intérimaires ou des intermittents du spectacle ces dernières années l’attestent. Ce bref retour sur l’histoire sociale d’une profession met en relief que l’insécurité du lendemain, en termes d’emploi, de rémunération, nourrit des comportements qui font passer au second plan les conditions de travail, et leur répercussion sur la santé physique et mentale des salariés concernés.
Il n’y a donc pas de fatalité dans une dégradation anormalement élevée de la santé d’une profession, même si nous admettons que le risque zéro n’existe pas.
- UN TAUX ANORMALEMENT ÉLEVÉ DE PATHOLOGIES GRAVES -
Entre la conviction que le risque professionnel zéro n’existe pas et le constat d’une dégradation anormale de la santé de salariés d’une même profession, il existe une marge qui a motivé notre travail de recueil d’éléments de connaissance qui constitue une expertise sociale sérieuse.
L’expertise sociale que nous avons menée repose sur une enquête effectuée auprès de 143 dockers nantais sur les 193 en activité en 1992, date de la réforme. Ils avaient à l’époque entre 25 et 55 ans. Les conclusions de cette expertise sont sans appel.
À Nantes, nous enregistrons 88 salariés, retraités ou en activité, malades : 61 ont un cancer, 15 ont une maladie cardio-vasculaire, 12 ont des plaques pleurales. Sur ces 88 dockers malades, 35 sont décédés. À Saint-Nazaire, sur une population de 160 dockers interrogés, nous enregistrons 43 pathologies liées à des cancers, dont 17 décès. L’espérance de vie des salariés dockers est inférieure de 8 à 10 ans à celle des autres salariés, toutes professions confondues, selon les données chiffrées communiquées par des sources officielles.
- QUELLES PEUVENT ÊTRE LES CAUSES DE CE CONSTAT INQUIÉTANT ? -
Nous n’acceptons pas de nous laisser enfermer dans le cadre des politiques hygiénistes consistant à cataloguer les cancers, et identifier ceux-ci comme la résultante de comportements individuels, qui conjuguent le tabac ou l’alcool avec un automatisme choquant aux cancers du poumon, du rein, ou encore de la vessie. Nous sommes conscients que derrière le mot prévention, il y a des politiques qui, sous l’angle d’une culture super-hygiénique, autorisent les patrons ou le pouvoir politique à orchestrer des campagnes de culpabilisation des individus.
Le salarié, docker ou agent d’exploitation du GPM, est soumis à un rythme de travail et à une vigilance permanente pour assurer sa propre sécurité et celle de son équipe, ce qui ne lui laisse pas de répit sur les plans physique ou intellectuel. La sécurité est une préoccupation constante dans l’activité des portuaires. Cependant, pour se protéger, il faut avoir conscience du danger potentiel existant. Or, les discussions menées avec les portuaires confirment qu’ils sont tenus dans l’ignorance d’éventuels risques professionnels.
Conscients de la pression de l’idéologie ambiante sur l’enjeu de la santé au travail, nous sommes animés par la volonté de partir de la connaissance et de la mémoire collective des salariés, pour identifier les produits et marchandises qui ont été chargées ou déchargées sur le port de Nantes–Saint-Nazaire. Notre but est de mettre à la disposition de scientifiques, de sociologues, d’institutionnels (Médecine du travail, DIRECCTE, acteurs de la santé publique, et évidemment, institutions représentatives du personnel salariés) un fonds de connaissance permettant de progresser dans la recherche des liens de causalité entre pathologie et environnement du travail.
- PAROLES DE DOCKERS -
Les paroles de dockers entendues lors de l’Assemblée générale de l’APPSTMP 44 sont riches d’enseignement pour celles et ceux qui s’intéressent à la santé physique des dockers, et à l’exposition à certains produits qui fut la leur.
Bois du Brésil : des tonnes ont été déchargées à Nantes. Ces derniers étaient traités avec un fongicide, interdit au Brésil en 2007 en raison de sa dangerosité pour la santé humaine. Les bois d’Asie se sont avérés encore plus dangereux, compte tenu des doses de fongicide utilisées. Nous relevons la même problématique avec les bois du Nord, puisque 50 % de ceux-ci sont traités avant leur exportation, et qu’aucun protocole n’est établi à l’arrivée des navires. Or, depuis toujours, les dockers interviennent dès l’ouverture des cales, alors même qu’une forte odeur de fongicide s’en dégage.
Enfin, il est à noter que l’importation des bois du canada a été interdite dans les années 1990. Les explications communiquées à l’époque aux dockers indiquaient que cette interdiction était liée à la non-efficacité des fongicides utilisés. Cette information confirme indiscutablement que ce sont les marchandises qui sont protégées, et non les hommes !
L’exposition à certains produits a provoqué des saignements de nez chez des dockers d’une même équipe, le temps d’une vacation ou d’un shift. Un salarié grutier portiqueur a souligné que son poste de travail l’exposait à l’inhalation des fumées évacuées par la cheminée des navires à quai.
Les dockers ont :
- Manutentionné, à Saint-Nazaire, des conteneurs sans protection qui, déposés dans l’aire de stockage, faisaient ensuite l’objet d’un périmètre de sécurité !
- Déchargé de la farine de viande durant la période de la vache folle, ou des tourteaux qui ont fait l’objet d’une interdiction au motif qu’ils étaient cancérigènes.
- Respiré en fond de cale les vapeurs d’hydrocarbures, les poussières de blé, de soja, et inhalé des pesticides.
Un rapport relatif à la toxicité du brai de charbon déchargé à Saint-Nazaire n’a jamais été publié pour une raison fondamentale : ses conclusions révélaient un constat catastrophique pour la santé des salariés dockers.
La mémoire collective des salariés, dockers et agents d’Exploitation du GPM, révèle concrètement le caractère agressif de l’environnement du travail des salariés portuaires.
- COMPARAISON ENTRE GÉNÉRATION ET ÉVALUATION DES RISQUES -
La comparaison de l’état de santé de générations successives de dockers met en relief que la génération précédente connaît une moyenne d’espérance de vie plus élevée. Cette constatation est à contresens de l’histoire, compte tenu de l’évolution des connaissances, des progrès des sciences et de la médecine.
L’explication n’est-elle pas à rechercher dans l’utilisation des produits qui ont accompagné et accompagnent le développement d’une agriculture intensive ?
Les pesticides, épandus à fortes doses lors de la culture de produits alimentaires, et lors d’une deuxième phase dans les cales des navires pour leur transport par voie maritime, dans le but d’éviter leur détérioration, sont à la source du développement des pathologies pointées lors de la réalisation de l’expertise sociale. Il n’est pas anodin de noter la similitude des cancers dont sont victimes des salariés portuaires et ceux de l’agriculture. Les mêmes causes produisent les mêmes effets.
Ces paroles de dockers et agents d’exploitation du GPM tissent un faisceau de présomption qui renforce l’impérieuse nécessité de lancer un véritable programme de recherche sur les origines des cancers dans la profession portuaire, pour mettre un terme à une situation qu’il n’est pas excessif de qualifiée de catastrophe sanitaire. Cette exigence se trouve confortée par la mesure n° 9 du plan cancer 2009-2013, qui a pour objectif de « renforcer les dispositifs d’observation et de surveillance des cancers liés à l’environnement général ou professionnel, améliorer les connaissances sur les effets différés des expositions et optimiser les capacités de veille et d’alerte pour la détection des risques émergents ».
Il existe un intérêt de santé publique à engager dans la durée une étude relative au caractère cancérogène des produits et marchandises chargés, déchargés, manutentionnés, dans l’espace portuaire du GPM de Nantes–Saint-Nazaire Atlantique, d’autant que des études relatives aux cancers d’origine professionnelle pointent les matériaux utilisés ou transformés dans les industries de la métallurgie, du bois, des minéraux ou de l’agriculture, matériaux qui transitent par les ports.
Une enquête du syndicat CGT des douanes indique avec précision que les marchandises transportées dans les conteneurs peuvent être contaminées. Les causes sont identifiées. Elles pointent les gaz utilisés lors des fumigations destinées à éliminer toutes formes de parasites, des champignons aux rongeurs, afin de protéger la cargaison et d’éviter que diverses bestioles ne se promènent entre les continents.
Une étude menée par l’Institut central de la médecine professionnelle et maritime de l’université de Hambourg, estime que 97 % des conteneurs sont traités avant de quitter le port où ils ont été chargés. Les deux gaz le plus souvent employés sont le 1-2 dichloréthane et le bromure de Méthyle (ou bromométhane, un pesticide utilisé pour exterminer les rats et les champignons microscopiques). Le 1-2 Dichloréthane est classé cancérigène, mutagène et reprotoxique. Corrosif pour les poumons, il affecte la fécondité, est dangereux pour les reins.
Une évaluation expérimentale, menée en juin 2010 sur le port du Havre, conclut aux données chiffrées suivantes : sur 116 conteneurs sondés, près d’un sur quatre renfermait au moins un gaz toxique en quantité supérieure au seuil de sécurité ; dans 4 % des conteneurs, régnait une atmosphère hautement toxique, avec une multiplicité de gaz nocifs dont le phénol ou le vikane.
La caractéristique de l’activité portuaire est d’être un carrefour par lequel transitent nombre de produits précédemment cités. Les expositions des salariés dockers ou agents d’exploitation du GPM à ces derniers sont donc multiples et fréquentes. Les poussières de blé, de soja, de charbon sont d’autres agents agressifs que nous ne pouvons manquer de souligner. Les études révèlent que dans le cadre de pics de pollution liés aux conditions atmosphériques, il est constaté une augmentation des accidents cardiaques dus à l’inhalation de poussières chez les habitants des territoires concernés. Nous ne pouvons manquer de rapprocher ces connaissances et constats du taux d’accidents cardiaques constaté chez les ouvriers dockers ayant été exposés aux poussières (blé, soja, tourteaux, ammonitrate) Dans un tel contexte, nous ne pouvons attendre la preuve scientifique de la dangerosité des produits, de leurs caractéristiques mutagènes et/ou cancérogènes. C’est la raison fondamentale pour laquelle nous devons travailler à partir de l’environnement du travail, des pathologies recensées, pour faire reconnaître les maladies professionnelles, faire évoluer la législation en matière de prévention, de reconnaissance et de réparation. Notre ambition est de faire reconnaître le droit de l’humain.
- FILIÈRE PROTUAIRE : RESPONSABILITÉS, POUVOIR DE DÉCISION, TRANSPARENCE -
Les acteurs de la filière portuaire sont multiples. L’armateur du navire, son affréteur, le vendeur et le client, la direction du port et les manutentionnaires interviennent à divers échelons de la chaîne portuaire. Cette réalité met en relief une dispersion des pouvoirs de décisions, et de la part de responsabilité qui leur incombe dans le cadre de l’application de la législation en vigueur relative aux obligations faites aux employeurs d’assurer la protection de la santé physique et mentale de leurs salariés. Cette complexité évidente impose l’élaboration de règles et dispositions assurant :
- une transparence relative à la nature des produits chargés de quai à bord ou déchargé de bord à quai. Les salariés portuaires doivent avoir connaissance des degrés éventuels de toxicologie des marchandises et produits qu’ils manutentionnent. La reconnaissance de cette règle suppose qu’il existe une traçabilité du produit, notamment sa provenance, les traitements utilisés dans la phase de production et lors de la phase de stockage en cale, pour éviter sa détérioration.
- L’élaboration et la mise en oeuvre de procédures assurant une diminution sensible des expositions à des cancérogènes. Il convient d’adopter une méthodologie qui assure un temps, qui reste à déterminer, entre l’ouverture de la cale du navire contenant des marchandises traitées avec des pesticides ou fongicides, et son déchargement, pour éviter l’inhalation de vapeurs toxicologiques impliquées dans le développement de cancers. Une circulaire du ministère du Travail publiée en janvier 2010 demande aux employeurs de procéder au contrôle du risque chimique, pour les travailleurs exposés aux gaz destinés aux opérations de fumigations. À ce jour, nous n’avons pas connaissance que de tels contrôles aient été faits, et encore moins de l’organisme chargé de collecter l’ensemble des données à des fins d’études et d’évaluation, organisme qui devait être créé par décret !
- Le travail en fond de cale avec des engins de manutention diesel (chariot élévateur ou chouleur), ou lors des opérations de saisie ou de dessaisie des remorques de camions embarqués sur le ferry assurant la liaison Saint-Nazaire–Gijon dans le cadre des autoroutes de la mer, qui expose les salariés dockers aux fumées d’hydrocarbures, mérite une attention particulière. Les salariés doivent disposer de protections adaptées. Les mêmes mesures de précaution doivent être appliquées pour les marchandises dont la manutention dégage des poussières, à l’exemple du blé ou de la farine, soja, tourteaux, même si nous notons la mise à disposition de masques depuis quelques années.
La direction du port qui, jusqu’en 1992, assumait un rôle pilote dans le développement et la gestion de l’activité portuaire, donc de celle de l’emploi via sa présence au BCMO, et les employeurs manutentionnaires depuis la réforme du statut de la dite année, doivent assurer un enregistrement des produits et marchandises qui transitent par le port. Cette connaissance est décisive pour assurer un examen permanent entre pathologies et produits cancérogènes, mutagènes, et créer les conditions d’une vigilance sanitaire, d’une politique de prévention et de protection contre les risques professionnels :
- Reconnaître un droit de retrait des salariés dockers et agents d’exploitation du GPM dès lors qu’il existe une présomption de risque pour leur santé physique.
- Revaloriser le rôle des CHSCT. Ceux-ci doivent être informés en aval de la programmation des trafics, des marchandises transportées, de leur provenance et des risques encourus.
- Reconnaître un droit à l’information des salariés dockers et agents d’exploitation du port.
- MOBILISER LES MOYENS D'UNE AMBITION NOVATRICE EN MATIÈRE DE PROTECTION DE LA SANTÉ AU TRAVAIL -
En 2000, de nouvelles dispositions ont enrichi le code du travail en matière de protection des salariés et d’action contre les risques professionnels. À présent, l’employeur est dans l’obligation d’assurer la protection de la santé physique et mentale des salariés, et d’obtenir des résultats. La mise en oeuvre de ces articles du code du travail nécessite la mobilisation de moyens, entre autres financiers. Dans le cas précis de la filière portuaire, nous constatons que les lieux et pouvoirs de décisions sont multiples et diffus, tout comme l’identification des responsabilités. Nous partons du principe qu’en la circonstance, les responsabilités des différents décideurs de la filière portuaire sont impliquées dans l’élaboration et la mise en oeuvre d’une politique de protection de la santé au travail dans les métiers portuaires.
Un examen des acteurs de la filière portuaire met en relief :
- Le producteur, qui vend ses productions, a une connaissance exhaustive du cahier des charges qui a prévalu à leur culture. Il ne peut ignorer l’utilisation de pesticides ou fongicides suivant le type de cultures ou de productions.
- L’armateur du navire, ne peut se défiler de ses propres responsabilités, inhérentes à son positionnement dans la mise à disposition d’un moyen de transport maritime dont il est le propriétaire.
- L’affréteur a des responsabilités similaires en tant que maillon de la filière portuaire.
- La direction du port, qui assume le rôle d’acteur public dans les échanges commerciaux et l’organisation de l’activité portuaire, occupe un positionnement déterminant dans l’application de mesures préservant la santé des salariés portuaires, assurant une politique nationale de développement du secteur portuaire appelé à connaître un développement lié a l’intensification du fret maritime. Elle ne peut se cantonner à une responsabilité de gestion des passages de navires.
- Les employeurs manutentionnaires, qui gèrent l’emploi des salariés dockers, sont de par leurs responsabilités des décideurs de premier rang. Ils leur incombent de prendre des dispositions pour répondre aux exigences des articles du code du travail entre autres, le L 4121-1.
Ces différents acteurs et décideurs de la filière portuaire ont une responsabilité collective à l’égard des salariés dockers et agents d’exploitation du GPM Nantes–Saint-Nazaire Atlantique, sans lesquels les marchandises resteraient à bord ou à quai. Il convient en conséquence d’examiner la faisabilité de la création d’un fonds de financement d’une politique active et déterminée de lutte contre les risques professionnels. Ce fonds serait alimenté par une contribution qui reste à déterminer en fonction des responsabilités et du taux d’implication dans la filière maritime.
- MARC GRÉGOIRE PRÉSIDENT DE LA LIGUE CONTRE LE CANCER 44 -
Je suis particulièrement heureux d’être ici parmi vous car je suis par ailleurs directeur de recherche à l’INSERM où je dirige une équipe menant des recherches sur le mésothéliome. Je suis donc très sensible à ce type de cancer, et je sais que les dockers le sont aussi puisque c’est l’un des cancers qui les frappe le plus. La Ligue 44 a souhaité soutenir votre initiative et je puis vous dire qu’elle continuera à le faire.
Les organisateurs m’ont demandé de vous dire quelques mots sur le Plan cancer. Tâche difficile puisque ce plan de 140 pages s’engage sur pas moins de 30 missions et 118 actions. Disons tout d’abord que le mérite principal de ce plan est de poser noir sur blanc les grandes missions à réaliser. Et comme c’est écrit noir sur blanc, il ne faut pas hésiter à s’appuyer sur ce document pour faire pression sur les pouvoirs publics afin que le plan atteigne ses objectifs.
Le Plan a défini cinq grands axes d’action : l’aide à la recherche, l’observation, la prévention et le dépistage, les soins, et le soutien apporté aux personnes sortant de maladie.
Je vais vous présenter quelques mesures susceptibles de vous intéresser en premier lieu.
Concernant la recherche, l’une des mesures vise à caractériser au mieux les risques environnementaux. Or cela nécessite des chercheurs en nombre suffisant et des budgets en conséquence. Le cas des dockers est significatif : vous formez une population multirisque, et cela ne peut rendre la tâche des cliniciens que plus difficile dans l’approche des traitements et du dépistage. D’où l’intérêt pour une association comme la vôtre de se battre pour que des fonds soient débloqués sur cette question.
Vous pouvez également vous appuyer dans votre action sur les missions définies dans le chapitre du Plan sur l’observation. L’une d’elles concerne l’analyse de la répartition des cancers : où en trouve-t-on et pourquoi, optimiser et développer les systèmes de surveillance, développer l’épidémiologie sociale des cancers, améliorer l’observation et la surveillance des cancers liés à l’environnement professionnel.
Dans le chapitre sur la prévention et le dépistage, une mesure mérite d’être soulignée : « Augmenter les possibilités d’organisation du dépistage systématique ». Si, concernant le traitement du mésothéliome, nous ne sommes malheureusement pas très efficaces, il y a par contre un domaine sur lequel nous essayons d’être efficace : le dépistage. Avec plusieurs équipes de chercheurs, en France et en Australie, nous avons mis au point un système de dépistage performant. Malheureusement, s’il est reconnu dans les pays nordiques ou aux États-Unis, il ne l’est pas en France parce qu’il n’est pas fiable à 100 % mais à 90 %. Et dans le cadre d’un dépistage systématique de toute la population, il coûterait trop cher selon la Médecine du travail nationale. Mais pour une population spécifique comme la vôtre, je considère que ce système de dépistage est adapté, d’autant plus qu’il est plus sensible et moins onéreux que l’analyse par imagerie.
J’attire enfin votre attention sur la mesure visant à renforcer la présentation et la visualisation des cancers liés à l’amiante. Vous devez savoir que la déclaration du mésothéliome est obligatoire. Cela signifie que cette déclaration doit entraîner une enquête épidémiologique. Voilà qui devrait nous en apprendre davantage sur les maladies professionnelles.
- JORDY ARAGUNDE, REPRÉSENTANT DE L'IDC (CONSEIL INTERNATIONAL DES TRAVAILLEURS PORTUAIRES -
Je vous remercie de m’avoir invité et vous adresse les salutations de tous les dockers espagnols qui sont eux-aussi très préoccupés par la question des maladies professionnelles (problèmes cardiaques ou cancer), et par la question fondamentale de la prévention. Ils ont constaté également que les gens qui ont inhalé de l’amiante entre 1980 et 1995 sont aujourd’hui atteints de problèmes pulmonaires.
Les dockers et portuaires CGT sont de nouveau un exemple pour l’Europe au regard des combats menés sur la pénibilité, la sécurité, les garanties concernant les conditions de travail.
Un dialogue social au niveau européen va commencer avec la participation d’IDC, donc de tous les ports d’Europe concernant les conditions de santé au travail, et tous les documents et informations récoltés ici lui seront très utiles.
- MICHEL PLACE CONSEILLER MUNICIPAL CHARGÉ DE L'EMPLOI À LA MAIRIE DE NANTES -
C’est avec plaisir que je vous transmets le salut de Jean-Marc Ayrault, député-maire de Nantes et président de l’agglomération nantaise. Les travaux que votre association a conduits participent de par leur qualité au rapport de forces toujours nécessaire pour que chacun puisse gagner sa vie au travail, et non pas la perdre. Il est assez surprenant, au regard des chiffres que j’ai pu découvrir et qui sont estomaquants, de voir que la reconnaissance des maladies professionnelles et la lutte contre elles relèvent de siècles passés. Non, il y a une nécessité permanente de vigilance, et l’ensemble des acteurs doit tenir ce rôle dans cette vigilance pour que les maladies professionnelles soient reconnues, les victimes, indemnisées, et surtout pour que des mesures de prévention soient prises de façon à mettre fin à cela. Or la mondialisation, par la circulation des marchandises, amène et génère de nouveaux risques qu’il faut en permanence découvrir. Il y a également un risque majeur que vous avez relevé : celui d’exporter ces problèmes vers de plus démunis. L’action que vous portez doit contribuer à cette vigilance et à cette prise de conscience : éviter que nous exportions vers un sous-prolétariat ces risques et ces maladies professionnelles. C’était le message que je voulais vous adresser aujourd’hui. Cette attention n’est pas nouvelle puisque nous avons eu l’occasion de soutenir l’action intersyndicale menée autour du film documentaire « Une tour, de l'amiante, un combat… » (2010). Cela montre notre préoccupation qui doit être celle de la force publique sur ces questions complexes.
- SYNTHÈSE PREMIÈRE TABLE RONDE -
« Il n’y a pas un mètre linéaire sur le port de Marseille qui ne nous rappelle la mort d’un ami, d’un frère ou d’un camarade. On pensait avoir touché l’horreur, mais nous avions tort. Dans tous les ports, chaque année, on perd des camarades. Aujourd’hui, j’ai une pensée pour les jeunes parce qu’il ne faut pas qu’ils subissent que je ne supportais pas : que l’on meure en silence. Aujourd’hui, on se meurt, mais on le crie à tout le monde. »
Ces mots de Gaston Deplanque, docker de Marseille, souligne l’importance de la réunion pour la communauté des dockers français, et l’émotion que ce débat suscite. Il plaide pour la généralisation du suivi post-professionnel chez les dockers retraités, et une pleine information sur la toxicité des produits manipulés par les dockers.
Le Professeur Géraut répond qu’il est de la responsabilité des employeurs de mettre à la disposition de tous des fiches de données de sécurité : « Les médecins du travail sont également censés vous répondre, même si souvent les demandes de renseignement qu’ils adressent à propos des produits manipulés n’obtiennent aucune réponse. Il y a également le document unique d’évaluation des risques qui est obligatoire dans toutes les entreprises françaises. Ce document comporte une mise à jour annuelle avec tous les produits manipulés. » Il précise cependant que « dans le domaine de l’allergologie, où ce sont les petites quantités qui comptent, les fiches de sécurité sont très insuffisantes. »
Christophe Coutanceau invite à rester vigilant concernant les fiches de données de sécurité : « J’ai le souvenir d’une fiche de données de sécurité prélevée par un collègue de CHSCT dans une centrale nucléaire. Les salariés utilisaient une graisse qui, à la lecture de la fiche, n’apparaissait pas dangereuse. Or, cette graisse se dégradait à la chaleur et dégageait alors un gaz irritant, le formaldéhyde. Ces fiches sont des documents assez théoriques qui ne prennent pas en compte l’utilisation réelle, sur le terrain. Pour avoir fait quelques accompagnements d’inspecteurs ou de contrôleurs du travail et consulté ces fiches, je puis vous dire qu’elles se composent pour beaucoup de copier-coller. On a donc du mal à se fier à ce type de documents pour vraiment identifier les produits et les risques. »
Le Professeur Géraut déplore la sous-déclaration des maladies professionnelles. Celle-ci est due notamment au fait que le médecin traitant ou le spécialiste n’ont pas le réflexe de faire le lien entre la pathologie de leur patient et son activité professionnelle antérieure. C’est pourquoi « il est essentiel qu’en fin d’études, les étudiants en médecine aient une formation à ce sujet. De même, il y a quelques années, à la demande du ministère de la Santé, j’ai contacté tous les présidents de sociétés savantes (dermatologie, pneumologie…) afin de les inciter à rappeler l’importance de la déclaration de maladies professionnelles. Enfin, pour information, je viens d’être nommé dans une commission du ministère de la Santé sur la non-reconnaissance des maladies professionnelles. J’espère que cette commission va fonctionner et qu’elle obtiendra des résultats. » Répondant à une interrogation de Véronique Aubry, il rappelle également que dans les métiers du bois et de l’amiante, des cas de cancers ont été reconnus comme cancers de personnes vivant à proximité de personnes exposées, notamment les épouses souvent préposées au lavage du linge de leurs époux.
Les résultats de l’expertise sociale dévoilés ce matin ont frappé nombre de participants. Yves Tual (Syndicat CGT du GPM) témoigne : « Cela fait plus de trente ans que je suis sur le port avec des responsabilités syndicales, et j’ai toujours été interpellé par le décès de certains camarades. J’ai adressé aux organisateurs la liste des camarades décédés ces vingt dernières années. Ils avaient entre 45 ans et 60 ans. Face à cela, on essayait toujours de trouver une “bonne” raison : l’alcool, le tabac. Mais certains camarades ne fumaient pas, ne buvaient pas… » Il met en cause ceux qui sont prêts à tout pour avoir du trafic dans leur port au mépris de la santé des dockers, et s’inquiète par exemple de savoir si des contrôles seront effectués sur les marchandises venant des zones ayant été touchées par la catastrophe nucléaire de Fukushima.
Jean-Luc Chagnolleau condamne de son côté le mur administratif qui se dresse devant le malade : « Je suis rendu à ma quatrième demande de reconnaissance de maladie professionnelle. Ma maladie étant hors tableaux, ma première demande a été refusée aussitôt. La seconde fois, c’était plus pernicieux puisqu’un expert s’est déplacé chez moi, alors que j’allais subir le lendemain une opération au cerveau. Je l’ai mal reçu, évidemment ! La troisième fois, grâce aux conseils de camarades de la CGT de la CPAM, j’ai établi un dossier à la hauteur de ce qu’ils espéraient. Je dois dire que mon expérience syndicale m’a aidé. Ce dossier fait cent pages. On y trouve tous les produits et matières que j’ai traités durant ma carrière, y compris les agrumes sur lesquels il y avait des conservateurs qui se sont avérés cancérigènes. Ce dossier a été remis à la Sécurité sociale, auquel j’ai joint mon dossier médical de 80 pages. Suite à cela, j’ai été convoqué. L’entretien a duré deux heures. Il fut franc et viril avec l’inspectrice. J’avais selon elle le nombre requis de points pour passer devant la commission. Mais 48 heures après, cette même personne m’a appelé pour me dire que puisque j’allais passer devant la commission, peut-être serais-je amené à devoir rembourser l’ensemble des indemnités perçues depuis le début de ma maladie ! J’ai laissé tomber, étant incapable de rembourser une telle somme. Mais dernièrement, j’ai refait une quatrième demande. On verra bien ce qui arrivera… » Jean-Luc Chagnolleau est convaincu qu’il ne faut pas baisser les bras : « En deux mois, cinq dockers sont décédés : le plus jeune avait 49 ans, le plus âgé, 71 ans. Sur ces cinq, un seul avait fait une demande de maladie professionnelle sur mon insistance. Il est mort avant la réponse. Mais il faut continuer à faire des demandes de maladie professionnelle. Plus on sera nombreux à se faire entendre, plus on a des chances d’être écouté. Même si c’est refusé, il faut insister ! Je sais bien que la Sécurité sociale a des problèmes de finances, mais nous aussi nos finances souffrent à cause de nos problèmes de santé. On n’a pas demandé à être dans cet état-là. » Sébastien Géant représente une délégation de douaniers du Havre, Marseille, Nantes et Dunkerque. Il est ici « pour écouter, apprendre mais aussi apporter notre contribution au débat puisqu’on a lancé une alerte sanitaire concernant les conteneurs, ces millions de boîtes qui entrent et sortent. » Cette alerte concerne la fumigation (fongicides, pesticides), mais également les gaz toxiques que peuvent produire par exemple les colles pour les chaussures au contact des fongicides : « Nous avons organisé au Havre une série de tests sur cent vingt conteneurs : 30 % d’entre eux contenaient des gaz toxiques avec des taux deux fois supérieurs à la norme en vigueur. » Travaillant depuis treize ans dans une brigade de contrôle des conteneurs, il souligne que bien souvent les douaniers travaillent sans protection. Mais il se bat également pour tous les travailleurs précaires : « Nous sommes un petit syndicat, et c’est pourquoi nous sommes heureux de cette transversalité, de ce “tous ensemble” si cher à la CGT, d’être avec les copains dockers, du GPM etc. pour se battre ensemble autour de cette problématique. J’ai aussi une pensée pour tous ceux qui ne sont pas représentés par un syndicat, ceux qui travaillent dans les entrepôts qui vident les conteneurs de leur marchandise et qui sont confrontés à la toxicité de certains conteneurs ». Ce problème est également soulevé par Bertrand Viarocco (secrétaire général du syndicat des douaniers CGT) : « Jusqu’à présent, les travailleurs de la manutention portuaire étaient presque exclusivement les salariés en première ligne ; aujourd’hui, avec la conteneurisation, il y a une diffusion complète du risque sur toute la chaîne logistique. Dockers et ouvriers-manutentionnaires manutentionnent des boîtes, et plus des marchandises. La boîte sera ouverte un peu n’importe où et par des travailleurs de n’importe quel statut. C’est pourquoi il faut penser à toutes ces professions marquées par la précarité. Pour l’identification des risques et le suivi professionnel, il sera extrêmement ardu d’imposer le suivi professionnel de tous ces travailleurs précaires qui sont loin des ports et à qui on ne va pas spontanément penser dans le ciblage des risques professionnels. »
Véronique Daubas-Letourneux souhaite que l’on sorte « d’une approche purement médicale et d’une approche par la preuve. D’ailleurs, Annie Thébaud-Mony a souligné que l’on est encore dans l’ignorance concernant la toxicité d’un certain nombre de substances. » Il y a selon elle deux dimensions importantes : la veille et l’alerte : « Une initiative comme celle d’aujourd’hui, transversale, incarne la dimension de l’alerte. Concernant la veille, je rappelle que tout docteur en médecine a l’obligation de déclarer tout symptôme ou maladie qu’il pense être en lien avec le travail. Annie Touranchet, qui fut longtemps médecin du travail dans les Pays de la Loire, a ainsi contribué à la mise en place d’un réseau de signalement des maladies à caractère professionnel particulièrement efficace, pris en exemple maintenant dans d’autres régions en France avec l’IMDS (International material data system). C’est via le signalement des maladies à caractère professionnel que les TMS ont été mis en évidence. Annie Touranchet pensait trouver des maladies liées à l’emploi des colles dans l’industrie de la chaussure, elle a trouvé des TMS ! Cela a généré des enquêtes, de la production de littérature scientifique et médicale et finalement, au bout de vingt ans de rapports de forces, le tableau 57 a été adopté. C’est pourquoi il est fondamental de sortir du médical et de l’entreprise, et de travailler à ce que les informations circulent entre collectifs de travailleurs et syndicats. C’est la condition sine qua non pour produire d’autres types de rapports de forces. »
TABLE RONDE ANIMÉE PAR BRIGITTE BÈGUE, JOURNALISTE À VIVA
INTERVENTION DU DOCTEUR GUY GARNIER, MÉDECIN DU TRAVAIL AU GRAND PORT MARITIME DE MARSEILLE
- L'AMIANTE : UN COMBAT EXEMPLAIRE -
Je m’occupe du suivi médical de l’ensemble du personnel des entreprises de manutention portuaire, et donc des ouvriers dockers du Grand port maritime de Marseille-Fos.
Mon exposé portera sur trois points. Tout d’abord, je vais rappeler brièvement l’histoire de l’amiante en France. Ensuite, je reviendrai sur l’histoire de l’amiante sur le port de Marseille-Fos, et vous verrez que cette histoire peut être transposée à l’histoire d’autres produits manipulés par les ouvriers dockers. Enfin, je vous parlerai des conséquences de l’inhalation des fibres d’amiante sur la santé, des différents traitements proposés et des moyens de surveillance médicale dont nous disposons aujourd’hui.
- HISTOIRE DE L'AMIANTE EN FRANCE -
Les premiers constats sur le caractère nocif de l’amiante datent du début du siècle, en Angleterre et aux États-Unis. En France, il faut attendre le 31 août 1950 et la création du tableau n° 30 pour que l’asbestose soit reconnue comme maladie professionnelle consécutive à l’inhalation de poussières d’amiante.
À partir de 1960, les pouvoirs publics et les industriels ne peuvent donc plus ignorer que l’amiante est un produit toxique et cancérigène. Mais dans les chantiers de construction de la France des années 1960, l’amiante est considéré comme l’or blanc : c’est un matériau bon marché et un très bon isolant thermique et phonique. Il est alors utilisé dans la construction des hôpitaux, collèges, lycées, universités (comme Jussieu, à Paris), bâtiments publics, etc., et il entre aussi dans la composition de plus de 3 000 objets de la vie domestique (table à repasser, vêtements de protection contre la chaleur utilisés par les pompiers, etc.)
En 1976, le tableau n° 30 prend en compte le cancer pulmonaire et le mésothéliome primitif de la plèvre, du péritoine et du péricarde. En 1977, soit quarante-quatre ans après les Anglais et trente-et-un ans après les Américains, les pouvoirs publics français votent le premier décret fixant les valeurs limites d’exposition pour les travailleurs de l’amiante. En 1978, le flocage des bâtiments à l’amiante est interdit, mais en 1982, les industriels s’organisent, créent le CPA (Comité permanent Amiante) et réussissent le tour de force d’y rassembler des représentants de l’industrie, des syndicats, des scientifiques et les pouvoirs publics. À partir de là, on comprend bien que, financé par les industriels de l’amiante, ce comité ne peut guère s’engager contre eux. Il défend leurs intérêts, parlant alors d’« usage contrôlé » de l’amiante.
Ce n’est qu’à la suite du combat mené par plusieurs victimes de l’amiante qu’en juillet 1994 la France interdit l’utilisation, la vente et l’importation des amphiboles, une variété d’amiante. Il faut attendre le 1er janvier 1997 (il y a à peine 14 ans !) pour que l’usage de toutes les variétés d’amiante soit interdit en France. Je dis bien usage, et non son commerce ! Et vous verrez par la suite combien cette nuance est importante pour les travailleurs du port, car, même au-delà de cette date, le port de Marseille-Fos continuera à voir rentrer et sortir cette marchandise en conteneur, venant de pays dont la législation sur l’amiante est différente, comme le Canada.
- HISTOIRE DE L'AMIANTE SUR LE PORT DE MARSEILLE-FOS -
Dans les années 1990, le nombre croissant de déclarations de maladies professionnelles, ainsi que l’augmentation des pathologies pulmonaires liées à l’amiante chez les dockers retraités, nous a fait rechercher quel avait pu être dans les années précédentes le niveau de pollution subi par les ouvriers dockers sur les quais pendant de nombreuses années.
Un groupe de travail fut créé avec la mutuelle du port (en collaboration avec les centres de santé mutualistes que nous avons rencontrés plusieurs fois afin d’établir une cartographie du risque Amiante, c’est-à-dire recenser les entreprises à risques, dont le port de Marseille), des dockers retraités (qui continuent aujourd’hui à s’occuper avec d’autres des problèmes administratifs liés à l’amiante), les deux délégués permanents à la sécurité, viceprésidents ouvriers des Comités paritaires Hygiène et sécurité (CPHS Est et Ouest) créés par la réforme de 1993 (Gaston Deplanque pour Marseille-Est et Rolland Boirié pour Fos) et moimême, qui était chargé de rassembler les données médicales sur la santé des dockers de Marseille-Est et Fos.
Tout était à faire et l’ampleur de la tâche était immense. Nous avons tout d’abord commencé par faire un travail de recensement pour quantifier et retrouver les personnes exposées. Puis nous avons établi la liste des différents postes de travail concernés, ainsi que la liste des entreprises de manutention, pour la plupart aujourd’hui disparues, dans lesquelles avaient travaillé les ouvriers dockers. Parallèlement, nous avons recherché dans les archives du Port autonome de Marseille la réalité des trafics d’amiante, en tonnes, année après année, afin d’établir le lien de cause à effet entre la profession et les problèmes de santé constatés sur les déclarations de maladie professionnelle n° 30 et 30 Bis.
Devant notre détermination et malgré les difficultés rencontrées pour obtenir des renseignements, nous avons pu obtenir les documents indispensables afin de monter un dossier solide qui sera déposé auprès des ministères concernés en décembre 1999. Nos recherches ont montré que de l’amiante minerai avait transité par le port de Marseille-Fos, d’abord sous forme de vrac et autres conditionnements (palettes de sacs, etc.) à partir des années 1950, puis en containers jusque dans les années 1990.
Ces différentes formes de conditionnement, de transport et de manutention se sont révélées aussi dangereuses les unes que les autres quant à l’exposition au risque. Pour le vrac et autres conditionnements, on retrouve des palettes de sacs de jute contenant de l’amiante (minerai) provenant d’Ukraine ou de Corse. Les ouvriers dockers transperçaient directement ces sacs à l’aide de crochets pour les tirer, et donc inhalaient des fibres d’amiante. Parfois, le minerai d’amiante était déchargé directement des navires en vrac, puis était manutentionné à la benne et à la pelle. Les conducteurs d’engins entreposaient ces sacs à l’intérieur des hangars, donc dans des espaces confinés, ou les stockaient dans des wagons ouverts à proximité directe des navires. La nature du travail sur le port de Marseille-Fos et les conditions climatiques dans lesquelles il se déroulait (à l’air libre) ont conduit à une grande dispersion des fibres d’amiante, très volatiles, aussi bien à bord des navires que sur les quais, les hangars, cales et wagons lors du déchargement et de l’acheminement du minerai.
Le conditionnement en conteneurs s’avère dangereux également pour d’autres raisons : l’état général souvent dégradé des parois, planchers et portes des containers ; les défauts d’étanchéité ; le retour automatique des containers vides ayant contenu de l’amiante (provenant de pays où la législation Amiante est différente), qui sont balayés puis rechargés d’autres marchandises par les ouvriers dockers.
Leur profession étant basée sur l’intermittence et la polyvalence, tous les ouvriers dockers ont sûrement manipulé des sacs d’amiante en fibres, ou du minerai en vrac, soit manuellement, soit avec des engins lors du stockage à l’intérieur des hangars. Ils ont également travaillé autour ou à l’intérieur de conteneurs ayant transporté de l’amiante. Vu la réalité de l’exposition à l’amiante, vu l’importance de ce risque pendant la période d’exposition, vu le nombre de maladies professionnelles déclarées et reconnues, nous avons pu déposer un dossier cosigné par les présidents employeurs des CPHS, les vice-présidents ouvriers des CPHS et accompagné d’un courrier médical signé par moi-même en décembre 1999.
Le port de Marseille-Fos a été reconnu comme port à risque Amiante pour la période 1957-1993, et la profession de docker a été reconnue comme profession ayant été exposée à ce risque avec l’arrêté du 7 juillet 2000.
Dans ce cadre, la profession d’ouvrier docker professionnel bénéficie d’une cessation anticipée d’activité à partir de 50 ans (un an pour trois ans travaillés) et d’un suivi médical postprofessionnel. Parallèlement à tout ce travail, nous avons édité, dans le cadre du CPHS, une plaquette d’information et de sensibilisation sur le risque Amiante que nous avons diffusée aux travailleurs actifs et à la plupart des dockers retraités. Nous avons envoyé également cette plaquette aux médecins généralistes et hôpitaux situés dans l’environnement direct du port, à l’Ouest comme à l’Est, afin de les sensibiliser à rechercher des maladies de l’amiante chez les dockers qu’ils pourraient recevoir en consultation.
- LES MALADIES DE L'AMIANTE -
Pour bien comprendre les maladies de l’amiante, il faut avant tout savoir qu’il se présente sous la forme de fibres minérales naturelles extraites de différents gisements (Ukraine, Canada, Afrique du sud, et Corse dont les mines de Canari ont été fermées en 1965). Ces fibres sont extrêmement fines (2 000 à 4 000 fois plus fines qu’un cheveu environ) et extrêmement résistantes aux bases et aux acides. En milieu professionnel, elles sont essentiellement inhalées, et quand elles pénètrent dans l’organisme, elles se répartissent dans les voies respiratoires selon leur taille : les plus grandes au niveau de la gorge, larynx, trachée et bronches ; les plus petites au niveau des alvéoles pulmonaires, car elles pénètrent très profondément dans l’appareil respiratoire. Une fois déposées, une grande partie sera éliminée dans les sécrétions grâce aux systèmes de défense des poumons (toux et lors du mouchage). Par contre, les fibres les plus longues et les plus fines vont rester dans le poumon car elles sont pratiquement insolubles. Plus l’exposition aura été longue, plus la quantité de fibres restant dans le poumon sera importante. Les fibres vont agir avec le tissu pulmonaire et provoquer d’abord une inflammation du poumon et du tissu qui l’enveloppe : la plèvre. Malheureusement pour nous, ces manifestations sont très progressives et ne se détectent pas facilement à ce stade, et ce n’est qu’après plusieurs années voire plusieurs dizaines d’années (quarante ans) que pourront apparaître les deux processus pathologiques touchant gravement la fonction respiratoire.
Il y a les atteintes non cancéreuses : l’asbestose ou fibrose pulmonaire, et les lésions pleurales bénignes, touchant la plèvre (plaques pleurales, épaississements pleuraux, pleurésies). Concernant les atteintes cancéreuses (cancer bronchopulmonaire, mésothéliome surtout pleural), on sait aujourd’hui que tous les types de fibres d’amiante peuvent être cancérogènes pour le poumon.
L’asbestose ou fibrose pulmonaire peut se voir avec toute variété d’amiante. Le délai d’apparition est de 10 à 20 ans après le début de l’exposition, celui de prise en charge est de 35 ans. La durée d’exposition est d’au moins 2 ans. Le poumon s’encrasse, perd son élasticité, devient fibreux. Les signes cliniques se manifestent très lentement : ils sont inexistants au début, puis ensuite on voit apparaître des symptômes non spécifiques, tels que l’essoufflement (d’abord lors des efforts, puis au repos), une toux avec des signes de bronchite chronique, parfois des points de côté avec une sensation de raideur thoracique. Cette fibrose résulte d’un empoussiérage important en quantité et en durée (on parle de « dose seuil »). Lors d’une radiographie du thorax, on note des signes de fibrose, et à l’EFR (épreuves fonctionnelles respiratoires), une réduction de la capacité pulmonaire totale (CPT). L’évolution peut se faire vers l’insuffisance respiratoire. C’est pourquoi le traitement sera à base de broncho-dilatateurs et de corticoïdes.
Les plaques pleurales (calcifiées ou non) interviennent au moins 15 ans après le début de l’exposition. Le délai de prise en charge est de 35 à 40 ans, et la durée d’exposition d’au moins 5 ans. Il n’y a aucun signe clinique. On découvre ces plaques généralement à l’occasion d’un examen radiologique (surtout avec le scanner). L’évolution est lente ou nulle. Avec le temps, ces plaques peuvent se calcifier, et ces calcifications apparaissent 30 ans environ après le début de l’exposition. Elles sont un marqueur de l’exposition, mais le sujet ayant ces plaques ne fera pas obligatoirement un mésothéliome pleural ou un cancer du poumon. Il n’y a aucun traitement particulier mais une surveillance par la radio des poumons de contrôle et des EFR pour surveiller la fonction respiratoire.
Les épaississements pleuraux (diffus ou localisés) ont un délai d’apparition de 15 ans après le début de l’exposition, et un délai de prise en charge de 35 ans. La durée d’exposition est d’au moins 5 ans. Là encore, il n’y a aucun signe clinique. Ces épaississements se découvrent à l’occasion d’un examen radiologique (surtout au scanner). Les pleurésies ont un délai d’apparition de 10 à 20 ans après le début de l’exposition, un délai de prise en charge de 35 ans. La durée d’exposition est d’au moins 5 ans. Il n’y a aucun signe clinique. Ce sont des cas rares, généralement bénins, qui guérissent spontanément sans traitement.
Intéressons-nous maintenant aux atteintes cancéreuses.
Le cancer broncho-pulmonaire apparaît plus de 20 ans après le début de l’exposition. Son délai de prise en charge est de 40 ans, et la durée d’exposition, de dix ans. La liste des travaux susceptibles de provoquer l’affection est limitative (tableau 30bis, créé en mai 1996). Il peut se développer directement, sans signe préalable de fibrose. Il n’a aucune particularité clinique, et donc ne se distingue pas des cancers broncho-pulmonaires dus à d’autres causes. Le tabac multiplie les risques. Suivant le stade de découverte, le traitement pourra être chirurgical ou médical, par chimiothérapie ou radiothérapie.
Concernant le mésothéliome primitif de la plèvre, du péritoine ou du péricarde, le délai est très long puisqu’il peut atteindre 30, 40 voire 50 ans après le début de l’exposition. Son délai de prise en charge est de 40 ans, et la durée d’exposition est d’au moins 10 ans. Il n’y a pas de dose seuil : un seul pic d’exposition peut suffire (plusieurs milliers de fibres). Les signes apparaissent rarement avant l’âge de 60 ans. Ils prennent la forme de douleurs thoraciques, de toux, d’essoufflement, d’épanchement pleural, d’altération de l’état général (avec perte de poids inexpliquée). Mais ces signes ne sont pas spécifiques et peuvent se retrouver dans de nombreuses affections. Le traitement sera surtout médical avec chimiothérapie et radiothérapie.
Comme vous pouvez le constater, les maladies de l’amiante sont d’abord des maladies pulmonaires pouvant apparaître entre 20 et 40 ans après l’exposition au risque, ce qui est énorme, et que les signes de ces maladies sont le plus souvent peu nets et non spécifiques. Il y a donc persistance du risque toute la vie durant. C’est pourquoi il faut essayer de repérer ces maladies au plus tôt, car plus le diagnostic sera précoce, plus le traitement de la maladie, si maladie il y a, sera efficace.
Les maladies de l’amiante ne doivent pas être une fatalité. Si elles sont prises à temps, on commencera une surveillance et un traitement qui pourra les soigner.
La surveillance médicale post-professionnelle repose sur un examen clinique par an. Il vous faut voir votre médecin traitant et le prévenir que vous avez été exposé. Ensuite, il vous faudra subir une radio du thorax (face) tous les deux ans, un EFR/Spirométrie tous les 2 ans et un scanner tous les cinq ans, ou plus rapproché au moindre doute. Pourquoi tous les 5 ans ? Parce que le scanner n’est pas un examen anodin : en irradiation, il équivaut à 100 radios du poumon environ.
- LA RÉPARATION -
Les maladies consécutives à l’inhalation de fibres d’amiante font l’objet d’une réparation dans le cadre de deux tableaux spécifiques du régime général de la Sécurité sociale (30 et 30 bis). Plusieurs décisions législatives sont venues modifier le circuit de ces réparations depuis 1998. Elles concernent la réouverture possible des dossiers de maladie professionnelle liée à l’amiante dont la première constatation médicale est survenue entre le 1er janvier 1947 et décembre 1999, la prise en charge des soins (avant, seules les formes les plus graves pouvaient faire l’objet d’une prise en charge), et la suppression du collège des trois médecins (le médecin-conseil peut solliciter l’avis d’un médecin spécialiste en pneumologie ou du médecin du l’entreprise. Mon avis a été sollicité environ 200 fois depuis 1993).
L’histoire de l’amiante nous aura appris deux choses. D’abord, il faut que nous, acteurs de la sécurité et de la santé au travail, soyons encore et toujours plus vigilants sur les conditions de travail, afin que les divers produits et matériaux qui transitent par le port ne tuent plus jamais les hommes qui les manipulent. Ensuite, elle nous aura appris que c’est tous ensemble, avec les membres des CHSCT, des CPHS, et les délégués syndicaux que nous avons pu faire avancer les choses.
GEORGES ARNAUDEAU PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION ALLÔ AMIANTE
- L'AMIANTE : UN COMBAT EXEMPLAIRE -
Permettez-moi de vous présenter succinctement Allô Amiante.
Allô Amiante fut mise en place en 1999. C’était une association de défense de cheminots victimes de l’amiante (nous en recensions alors 19 dans les ateliers de Bordeaux) qui s’appuyait sur la mutuelle des cheminots de l’époque. Puis, en 2003, notre structure, à l’origine centrée sur les seuls cheminots, s’est ouverte à tous les salariés.
Nous appartenons au réseau de l’ANDEVA (Association nationale de défense des victimes de l’amiante), animons la coordination Amiante des mutuelles des cheminots, siégeons à l’UD CGT 33 dans le cadre d’une commission sur les maladies professionnelles ; et c’est dans ce cadre que je rencontre assez régulièrement les dockers de Bordeaux. Nous faisons également partie d’un collectif régional qui s’articule autour de la CGT et des associations de l’ANDEVA. Notre banderole est sans équivoque : « Le travail ne doit pas être une maladie mortelle ».
Nous nous battons pour défendre les travailleurs victimes de l’amiante et pour qu’ils obtiennent réparation. Dans ce combat, nous privilégions la faute inexcusable de l’employeur sans négliger pour autant l’exposition environnementale qui se fait via le fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante. L’autre axe de notre combat concerne la prévention car nous savons que de nombreux salariés sont exposés à l’amiante, et que les opérations de désamiantage ne sont pas toujours faites dans de bonnes conditions. Enfin, nous nous inscrivons dans tous les mouvements qui défendent la santé au travail, dans le sens large du terme : on leur apporte notre soutien, notre expérience, notamment auprès des CHSCT.
Pourquoi nous dit-on que notre combat est exemplaire ? Deux choses peuvent permettre d’étayer cette affirmation : il l’est en regard des résultats obtenus ; il l’est parce que c’est un combat fédérateur.
Il y a tout d’abord le nombre de fautes inexcusables reconnu, avec les avancées que cela a entraînées, notamment le décret de 2002 imposant aux employeurs une obligation de sécurité et de résultats en termes de santé au travail. Nous avons évoqué le suivi postprofessionnel. Celui qui concerne l’amiante est, je crois, en avance. Il est articulé depuis 1999 avec des modalités de suivi post-exposition lorsque nous sommes encore en activité, ou de suivi post-professionnel Amiante lorsqu’on est à la retraite. C’est une avancée mais elle ne fut pas facile à obtenir puisque pour accéder au suivi post-professionnel Amiante, il faut justifier d’une attestation d’exposition. Or beaucoup d’employeurs oublient d’en délivrer, et quand un salarié se rend à la CPAM en disant qu’il a été exposé à l’amiante, on lui réclame impérativement cette attestation. Depuis 1999 et la conférence de consensus, ce suivi post-professionnel a été réactualisé par la haute Autorité de la santé. En janvier 2010, elle a renouvelé les mêmes recommandations en suivi professionnel que la conférence de 1999. Ça commence par un dépistage par le biais du scanner. Ensuite, parmi les avancées, il y a eu la cessation anticipée d’activité qui n’a rien d’un privilège puisque son obtention signifie que notre espérance de vie a été estimée amputée de six à sept ans au moins. Dernière avancée : le préjudice d’anxiété au travail qui est parti de la lutte de collègues aux Prud’hommes, et qui a été validé par la cour de cassation.
Si le combat que nous menons est jugé exemplaire par beaucoup, c’est parce qu’il est fédérateur. Il le doit en partie à la médiatisation dont il a fait l’objet. S’il faut rester vigilant avec les médias, force est de reconnaître que cette médiatisation a permis une prise de conscience générale.
Je soulignerai également que les résultats sur l’amiante sont des résultats collectifs obtenus à la suite de démarches individuelles puisqu’un dossier de déclaration de maladie professionnelle ne peut être qu’individuel, porté par la victime ou par ses ayants droit. C’est pourquoi il faut absolument informer les travailleurs des démarches qu’ils doivent entreprendre pour se défendre.
Ce combat de l’amiante est aussi un combat collectif mené en synergie aussi bien par des associations que par des organisations syndicales ou la Fédération des mutuelles de France. Ce sont des victoires où chacun a pu apporter sa propre expertise. Et ce combat exemplaire n’est pas terminé. Alors que la santé devrait être prise en compte de la naissance à la mort, la partie la plus importante de notre vie, nous la passons au travail (pour ceux qui ont la chance d’avoir un travail), et dans le cadre professionnel, les travailleurs sont peu informés de leurs droits relatifs à la santé. De même, il y a beaucoup de discours relatifs à la prévention, mais peu de choses sont engagées dans la foulée. Concernant l’amiante, qui fait 3 000 morts par an, on sait qu’il y a encore des milliers de tonnes et de mètres carrés d’amiante dans plein d’édifices, publics ou privés. Nous savons bien que tout cela ne peut être éliminé d’un coup de baguette magique. Mais nous savons aussi que beaucoup de travaux de désamiantage se déroulent dans de très mauvaises conditions.
Enfin, concernant la pénibilité, veillons à ne pas confondre exposition et maladie. Tant que nous n’aurons pas réglé ce problème, nous n’aurons pas réglé la question de la pénibilité.
Pour terminer, j’aimerais vous lire une citation : « Si un patron frappait un ouvrier d’une masse de plomb sous la forme d’une balle de revolver, il y aurait une police, une justice pour traîner l’agresseur en cour d’Assises et le faire condamner. Mais quelle folie de recouvrir à ce procédé brutal s’il est simple d’aplatir cette petite balle de plomb, de la broyer, de la réduire en poudre, d’en faire du carbonate de plomb, du blanc de céruse, et au lieu de la faire entrer d’un coup dans l’organisme, de l’infiltrer à la victime peu à peu par les poumons, par la peau, par les muqueuses. Alors le législateur s’arrête, le Sénat, la Chambre des Députés, le Président de la République, le Conseil d’État, viennent regarder le spectacle avec le plus grand intérêt. Puis on commence à discuter et on dit : “Croyez-vous vraiment que sous cette forme, le plomb ait pu causer la mort de cet homme” ». C’est une citation de Georges Clemenceau. Elle date de 1904.
VÉRONIQUE AUBRY AVOCATE SPÉCIALISÉE DANS LES AFFAIRES SOCIALES
Dans le cadre de la démarche de reconnaissance de la maladie professionnelle, deux interlocuteurs sont précieux : le médecin du travail d’une part, les représentants du personnel (Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail ou délégués du personnel en l’absence de CHSCT), d’autre part.
La reconnaissance de la maladie professionnelle permet à la personne qui en est atteinte (ou à ses ayants droit en cas de décès de la victime) de bénéficier de la réparation des préjudices subis en lien avec cette maladie.
Le présent exposé concerne le régime tel que fixé par la Sécurité sociale. L’indemnisation prévue par la convention collective applicable étant en cours de négociation, elle n’est pas abordée ici. Précisons toutefois qu’elle prévoit un régime de prévoyance en faveur des salariés victimes d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail.
- LA RECONNAISSANCE DE LA MALADIE PROFESSIONNELLE -
Il existe deux procédures selon que la maladie dont souffre la victime est ou non inscrite au tableau des maladies professionnelles. Dans le premier cas, il faut suivre la procédure traditionnelle de reconnaissance ; dans le second cas, il faut suivre une procédure de reconnaissance complémentaire.
- LE SYSTÈME TRADITIONNEL DE RECONNAISSANCE -
Les maladies désignées dans le tableau sont prises en charge par la Sécurité sociale au titre de la législation sur les risques professionnels car elles sont présumées d’origine professionnelle (article L 461-1 du Code de Sécurité sociale).
Toutes les conditions fixées par le tableau doivent être réunies, à savoir : le salarié est atteint de l’une des maladies visées ; il a été exposé de façon habituelle à l’action des agents nocifs ou occupé aux travaux figurant dans le tableau ; la maladie est constatée dans le délai de prise en charge visé dans le tableau.
Si ces conditions sont réunies, le salarié bénéficie de la présomption d’imputabilité, c’est-à-dire que l’on considère que la maladie a bien une origine professionnelle. Cela signifie que celui qui conteste l’origine professionnelle de la maladie doit en apporter la preuve.
- LE SYSTÈME COMPLÉMENTAIRE DE RECONNAISSANCE -
Cette procédure, qui repose sur une expertise médicale, est confiée au Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) qui doit rechercher la relation de cause à effet entre la maladie et le travail habituel du salarié.
Cette procédure concerne deux cas : la maladie est dans le tableau mais les autres conditions de reconnaissance font défaut ; la maladie n’est pas désignée dans le tableau mais a entraîné soit le décès du salarié, soit un taux d’incapacité permanente partielle d’au moins 25 % résultant d’une maladie essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime.
- LE PROCÉDURE DE RECONNAISSANCE -
C’est à l’initiative de la victime (ou ses ayants droit) qu’il appartient d’effectuer la déclaration de reconnaissance d’une maladie professionnelle. Le délai de déclaration est de 15 jours qui suivent la cessation du travail. Toutefois la victime dispose d’un délai de deux ans pour faire valoir ses droits aux prestations et indemnités qui suit la cessation du travail ou le jour où la victime a été informée par un certificat médical d’un lien possible entre la maladie et l’activité professionnelle. La déclaration doit être établie sur un formulaire-type remis par la CPAM et adressé à la CPAM dont dépend le salarié. L’instruction de la demande est faite par la CPAM, conjointement entre le service administratif et le service médical. La CPAM dispose d’un délai de trois mois pour prendre sa décision, délai pouvant être renouvelé une fois pour les besoins de l’enquête.
La CPAM a quatre possibilités : reconnaissance de la maladie dans le cadre du tableau ; refus d’ordre administratif (recours de contentieux général) ; refus d’ordre médical (contentieux de l’expertise médicale) ; transfert du dossier au Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP).
- LE PROCÉDURE SPÉCIFIQUE -
L’expertise médicale individuelle intervient dans deux hypothèses : la maladie n’est pas reconnue d’origine professionnelle dans le cadre du système traditionnel de reconnaissance ; saisine directe par la victime au titre du système complémentaire de reconnaissance.
C’est la CPAM qui saisit le CRRMP du lieu où demeure la victime, et constitue le dossier.
Les éléments constitutifs du dossier de la CPAM pour le CRRMP sont les suivants :
- Demande motivée de reconnaissance signée par la victime ou ses ayants droit.
- Certificat médical détaillant les constatations du médecin.
- Avis motivé du médecin du travail de la ou des entreprises dans laquelle ou lesquelles la victime a été employée, avis portant notamment sur la maladie et la réalité de son exposition à un risque professionnel présent dans cette ou ces entreprises (la demande est faite par la CPAM, et cet avis doit lui être communiqué dans le délai d’un mois).
- Rapport circonstancié du ou des employeurs de la victime décrivant notamment chaque poste de travail tenu par celle-ci (délai d’un mois à la demande de la CPAM).
- Le cas échéant, les conclusions des enquêtes administratives et/ou techniques conduites par les caisses compétentes.
- Le rapport établi par les services de contrôle médical de la CPAM qui comporte éventuellement le rapport d’évaluation du taux d’IPP (incapacité permanente partielle).
A leur demande, ce dossier est communicable à l’assuré, aux ayants droit, à l’employeur ou à ses mandataires avec possibilité d’observations de ceux-ci. Le CRRMP a un délai de quatre mois pour prendre sa décision, et ce délai peut être prolongé de deux mois. Il notifie sa décision à la CPAM qui en avise ensuite la victime et l’employeur.
- LA RÉPARATION DE LA MALADIE PROFESSIONNELLE -
PAR LA SÉCURITÉ SOCIALE
La victime d’une maladie professionnelle bénéficie d’une protection : pour les soins qui sont en lien avec la maladie (prestations en nature) ; pour compenser le manque à gagner, s’il doit interrompre son travail ou s’il conserve des séquelles (incapacité permanente).
Le point de départ des prestations est fixé à la date du certificat médical établissant le lien entre la maladie et l’activité professionnelle. La caisse verse directement aux praticiens, pharmaciens, auxiliaires médicaux, fournisseurs ainsi qu’aux établissements de soins le montant des prestations en nature (article L 432-1 du code de la Sécurité sociale), à savoir : les frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques et accessoires ; la réparation et le renouvellement des appareils de prothèse et d’orthopédie, les frais de transport de la victime de sa résidence habituelle ou à l’établissement hospitalier ; et d’une façon générale les frais nécessités par le traitement, la réadaptation fonctionnelle, la rééducation professionnelle et le reclassement de la victime.
Le taux de prise en charge est égal à 100 % du tarif applicable dans la limite des tarifs conventionnés.
La caisse rembourse le médecin tandis que le patient n’a rien à débourser (sauf en cas de dépassement d’honoraires).
Dans le cadre de soins continus de plus de six mois, un protocole est établi. En effet, la victime d’une maladie professionnelle est soumise à la procédure de suivi médical existant dans le cadre de l’assurance-maladie pour les affections de longue durée.
Le salarié victime d’une maladie professionnelle perçoit des indemnités journalières de la Sécurité sociale pour compenser le manque à gagner, dans les cas où il doit interrompre temporairement son travail.
L’indemnité journalière est versée à la victime pendant toute la durée de l’incapacité de travail, jusqu’à la guérison complète ou la consolidation de la blessure, ou le décès. Elle peut être également versée en cas de rechute ou d’aggravation. Elle est versée à partir du premier jour qui suit l’arrêt consécutif à la maladie professionnelle. Le premier jour de constatation est à la charge de l’employeur. Le montant de l’indemnité journalière correspond à un pourcentage du salaire de base.
La victime d’une maladie professionnelle qui garde une infirmité permanente a droit à l’indemnisation en fonction de son taux d’incapacité. Si ce taux est inférieur à 10 %, la victime a droit à une indemnité sous forme de capital ; s’il est égal ou supérieur à 10 %, le versement se fait sous forme de rente.
L’indemnisation des ayants droit en cas de décès de la victime :
Les ayants droit de la victime peuvent obtenir une rente en cas de décès de la victime. Il s’agit du conjoint survivant, concubin et partenaire lié par un PACS, des enfants légitimes, naturels ou adoptés jusqu’à l’âge de 20 ans, les ascendants (s’ils peuvent prouver que la victime n’avait ni conjoint, ni enfant et qu’ils auraient pu obtenir une pension alimentaire au titre de l’obligation alimentaire, ou bien qu’ils aient été à la charge de la victime quand bien même la victime avait un conjoint et/ou des enfants).
- LA FAUTE INEXCUSABLE DE L'EMPLOYEUR -
La réparation d’une maladie professionnelle est en principe forfaitaire. La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur permet d’obtenir une réparation complémentaire à la rente ou le capital versé au titre de la maladie professionnelle.
En droit du travail, la faute inexcusable est présumée lorsqu’un intérimaire ou un salarié en contrat à durée déterminée n’a pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée, est de droit lorsque l’employeur n’a pas remédié à un risque qui lui a été signalé et que ce risque se réalise (l’employeur avait été prévenu du risque par le salarié ou un membre du CHSCT et le risque se réalise). Dans ce cas la présomption est irréfragable, c’est-à-dire que l’employeur ne peut pas apporter la preuve contraire.
Dans les autres cas, la victime doit démontrer que l’employeur avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance du risque qu’il faisait peser sur le salarié. Si cette preuve est apportée, la faute inexcusable est reconnue et la victime (ou ses ayants droit) peut obtenir la réparation de son préjudice.
Le code de la Sécurité sociale (article L 452-3) définit les postes de préjudice indemnisables de façon limitative, à savoir : majoration de la rente forfaitaire, les souffrances physiques ou morales endurées, les préjudices esthétiques et d’agrément, le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle.
La victime se voyait donc privée de l’indemnisation de plusieurs autres postes de préjudice pourtant indemnisés pour les victimes d’un accident de la circulation ou d’un accident médical. Depuis une décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010, les victimes d’un accident du travail causé par la faute inexcusable de l’employeur, sous réserve que leur affaire ne soit pas définitivement jugée, peuvent désormais solliciter en sus des prestations mises à la charge de la Sécurité sociale, la réparation des postes de préjudice complémentaires. Cette décision doit s’étendre aux maladies professionnelles.
Par ailleurs, les ayants droit, en cas de décès de la victime peuvent obtenir la réparation de leur préjudice moral, et celle du préjudice moral personnel de la victime résultant de sa maladie.
PAR LE CONSEIL DE PRUD'HOMMES
La reconnaissance de la faute inexcusable permet à la victime licenciée pour inaptitude constatée par le médecin du travail de saisir le conseil de prud’hommes en vue d’obtenir la réparation du préjudice lié à la perte de son emploi. Cette réparation résulte du non-respect par l’employeur de son obligation de sécurité et de résultats en matière de santé au travail.
En dehors de la reconnaissance de la faute inexcusable, des salariés ont obtenu devant le Conseil de prud’hommes la reconnaissance et la réparation d’un préjudice d’anxiété. Des salariés avaient en effet cessé leur activité professionnelle et présenté leur démission pour prétendre au bénéfice de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante et avaient saisi le conseil de prud’hommes pour demander notamment la réparation d’un préjudice d’anxiété.
Ce préjudice a été admis, la Cour de cassation considérant que les salariés qui avaient travaillé dans un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi de 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante, se trouvaient par le fait de l’employeur dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante et étaient amenés à subir des contrôles et examens propres à réactiver cette angoisse.
PAR LA JURIDICTION PÉNALE
En cas d’infractions par l’employeur aux règles de sécurité, la victime peut déposer plainte dans le but de faire reconnaître la responsabilité de l’employeur. Mais l’indemnisation ne pourra être sollicitée que devant le Tribunal des affaires de Sécurité sociale après reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.
Il convient de préciser que les trois procédures devant la Sécurité sociale, le conseil de prud’hommes et la juridiction pénale peuventnêtre menées cumulativement. La seule restriction réside dans la réparation du préjudice, car la victime ne peut pas obtenir deux fois la réparation d’un même préjudice.
TONY HAUTBOIS SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA FÉDÉRATION CGT DES PORTS ET DOCKS
Le constat dressé tout au long de cette journée est édifiant et malheureux. On peut le mesurer en quelques mots : l’environnement portuaire est multirisque, et l’espérance de vie pour les travailleurs portuaires est écourtée de sept à huit ans.
En nous appuyant sur ce constat et sur les données et dossiers que l’on peut collecter dans les différents ports français, grâce notamment aux CHSCT et à la médecine du travail, nous devons agir sur trois fronts : reconnaissance, réparation, prévention.
Il nous faut continuer à lutter pour la reconnaissance des maladies professionnelles. Si l’amiante est très médiatisé, il ne représente malheureusement qu’une infime partie de toutes les maladies professionnelles, de tous les risques que les travailleurs encourent. Nous le savons bien : ce ne sont pas les employeurs qui vont s’emparer de cette question, parce que derrière cette reconnaissance, il y a la question de la réparation, autrement dit la question financière ; et dans notre société, c’est malheureusement la problématique financière qui prime sur la santé au travail.
Nous avons abordé la question de la réparation en nous battant sur la pénibilité au travail, c’est-à-dire les conditions de travail, la flexibilité, l’environnement professionnel, les produits nocifs traités… Nous sommes fiers d’avoir obtenu, dans un contexte social très défavorable, la possibilité pour les dockers et portuaires de partir en cessation d’activité, trois ans avant l’âge légal de départ en retraite. Nous avons gagné trois ans, mais nous n’oublions pas, comme je l’ai souligné précédemment que l’espérance de vie des dockers est amputée de sept à huit ans. Cela veut dire que sur ce dossier-là, nous continuerons à nous battre, tous ensemble, dans l’unité. Et nous espérons que cet acquis, obtenu par la lutte, servira de point d’appui à d’autres professions. Nous espérons également que cela va nous permettre de contrer la volonté gouvernementale, c’est-à-dire la reconnaissance de la pénibilité par la médecine du travail. Nous ne voulons pas que les dockers puissent partir en retraite lorsqu’on considère qu’ils sont déjà à moitié morts ! Nous voulons une vraie réparation de la pénibilité, en amont des risques et des maladies que notre activité professionnelle peut engendrer. Nous voulons pouvoir partir en retraite en bonne santé ! La question de la pénibilité au travail permet selon nous de globaliser toutes les problématiques soulevées pendant cette journée.
Enfin, il nous faut encore nous préoccuper de la prévention. Sur ce chapitre, je serai très bref. Sachez que nous avons négocié un statut conventionnel qui renforce l’aspect CHSCT/Prévention avec les CTPHS, de façon à ce qu’il n’y ait pas que les portuaires qui soient associés dans cette démarche, mais aussi les douaniers, les marins… Il y a enfin les EPI (Equipements de protection individuelle) qui sont très importants.
Parce que nous aimons tous notre métier, il nous faut nous battre pour l’exercer en sécurité.
CAROLE HAZÉ RESPONSABLE DU CENTRE DE RESSOURCES EN PRÉVENTION
DE LA FÉDÉRATION DES MUTUELLES DE FRANCE
Je ne suis pas une professionnelle de santé ou une experte scientifique, mais une mutualiste investie sur les questions de prévention et de santé au travail (SAT). Je vais m’efforcer de vous apporter des éléments supplémentaires à la réflexion mise en débat. Je n’ai pas de solutions miracles mais des convictions, et une expérience mutualiste que l’on m’a demandé de bien vouloir vous livrer.
- POURQUOI DE LA PRÉVENTION ? FAUT-IL FAIRE DE LA PRÉVENTION EN SAT ? EST-CE POSSIBLE ? -
La prévention peut s’entendre comme des actions ponctuelles ou des messages répétés sur la santé en général (nutrition, hygiène, dépistage, etc.). Outre le fait que ces actions ne doivent en aucun cas porter une vision arbitraire, culpabilisante sur le comportement individuel, elles peuvent avoir lieu dans le cadre du travail comme en dehors (c’est une partie de l’activité mutualiste), mais dans ce dernier cas, on ne traite que de ce qui porte atteinte à la préservation de la santé des personnes au travail.
Nous interrogeons ici le fait que c’est l’organisation du travail qui porte atteinte à la santé des personnes alors qu’il devrait permettre de construire leur santé. Longtemps, on a voulu faire croire que la modernisation des techniques avait mis fin à la pénibilité des métiers. On sait aujourd’hui que la pénibilité physique ne s’est pas réduite et, de surcroît, que l’évolution du travail a conduit à une croissance forte de la pénibilité psychique (RPS : risques psychosociaux).
Voici quelques chiffres qui parlent d’eux-mêmes :
- 2 370 000 salariés sont exposés à au moins un produit cancérigène, soit 13,5 % des salariés, ce qui est considérable (sources : enquête SUMER). Cinq branches d’activité (commerce, réparation automobile, métallurgie, industrie du bois-papier, produits minéraux-construction) exposent au moins 35 % de leurs salariés (sources : Revue SAT).
- 70 % des salariés exposés sont des ouvriers et plus particulièrement, des ouvriers qualifiés. Bien sûr, des mesures de protection existent avec des obligations ; cependant l’exposition aux produits cancérigènes tend à augmenter légèrement.
- La protection collective a augmenté également, et est la plus efficace par rapport à la protection individuelle. Cependant, 40 % des salariés n’en bénéficient pas.
- Entre 4 à 8 % des cancers seraient liés à l’exposition professionnelle, soit entre 5 000 et 10 000 cancers par an (Ligue nationale contre le cancer). L’INVS estime entre 11 000 à 23 000 les nouveaux cas de cancers professionnels par an, mais seulement 2 000 cas sont reconnus par la Sécurité sociale. Il y a donc une réelle sous-estimation du nombre de cancers professionnels. Par exemple, pendant longtemps, les préventeurs sont passés à côté des cancers professionnels déclenchés par l’exposition par voie cutanée et non pas seulement par les voies respiratoires.
La pénibilité du travail s’adresse à l’incapacité et à l’invalidité mais pas aux cancers professionnels qui, pour beaucoup, surgissent après l’âge de la retraite. Ainsi, l’âge moyen de survenue du cancer du poumon est de 63,1 ans. Toutes ces données ne sont pas prises en compte dans la pénibilité, alors que le poids du risque professionnel est important. Les ouvriers ont des années de vie des dockers est de sept ans inférieure à celle des autres ouvriers (Étude CRAM – Source Docks Marseille). Malgré la réelle évolution de la réglementation, notamment depuis l’affaire de l’amiante (Décret CMR 2001, DUE, formations obligatoires), on ne constate pas de réels progrès sur la santé. Par exemple, en ce qui concerne la campagne de contrôle en 2008 dans l’industrie de transformation du bois, 34 % des entreprises pointent les risques de CMR (Cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques) dans leur DUE (Déclaration unique d’embauche) : c’est très peu ; la formation obligatoire des salariés n’a été effectuée que dans 20 % des entreprises ; le contrôle de la valeur limite d’exposition des établissements.
Alors oui, il faut faire de la prévention en milieu professionnel. Oui, c’est possible ! Mais attention, la prévention n’est pas liée à la réglementation en vigueur. Il reste à réaliser un énorme travail de diagnostic, de conscientisation, d’information, de dialogue social sur le travail et son organisation. Il faut de surcroît lancer un appel à un travail concerté/partagé de tous les acteurs : CHSCT, employeurs, médecine du travail, salariés, associations et bien sûr mutualité, car la prévention est le principe de base du mot mutualiste (anticiper). C’est sa mission première.
- AVEC QUI FAIRE DE LA PRÉVENTION ? DANS QUEL BUT ET COMMENT ? -
Je me permets un mot sur la légitimité de la contribution mutualiste. L’histoire de la mutualité est liée à celle du mouvement ouvrier et du monde du travail. La mutualité est née de la volonté de mise en commun, d’assistance et de prévoyance pour épargner solidairement afin d’anticiper les conséquences du risque. Elles s’appelaient alors caisses de secours mutuels. De ce fait, la mutualité est concernée par la santé au travail, et les mutuelles sont présentes au coeur des entreprises. Les mutuelles portent des valeurs solidaires, et sont un acteur sanitaire et social concerné et légitime pour contribuer au développement de la prévention du risque professionnel et de la SAT.
Les Mutuelles de France, que je représente, ont toujours été convaincues de l’impact du travail sur la santé des populations. Elles ont été pleinement engagées dès l’origine sur le dossier Amiante pour alerter, mettre en débat public, dénoncer, accompagner. Les Mutuelles de France militent pour la reconnaissance des cancers professionnels, et se sont investies dans les collectifs nationaux SAT/ Ethers glycol.
Le but des actions de prévention est multiple. Elles permettent de rapprocher les acteurs : les mutuelles, ayant un pied dans faciliter les rencontres entre les différents acteurs sans parti pris. Elles facilitent les croisements d’expériences : nous considérons que l’information médicale et scientifique reste confinée dans les milieux spécialisés et difficilement accessible aux salariés exposés aux risques. Or, l’appropriation par les acteurs eux-mêmes, les salariés, des informations juridiques, réglementaires, scientifiques est une préoccupation des mutuelles à l’instar des autres composantes du mouvement social. D’où la tradition des Mutuelles de France d’organiser des conférences-débats, journées d’études, colloques, forums, au sein et hors de l’entreprise (sur les TMS, RPS, bien-être au travail, sens du travail…).
Il ne s’agit pas seulement d’informer mais de croiser les expertises, notamment l’expertise sociale issue des connaissances accumulées par les acteurs sociaux, les salariés, les mutualistes grâce à leur expérience professionnelle, expertise souvent méconnue et non valorisée auprès des milieux scientifiques et médicaux. Le but est de contribuer à la défense des victimes en brisant le mur du silence, en nommant les problèmes et en situant les responsabilités, afin d’inciter à la prévention. Ces éléments non exhaustifs situent le lien entre mutualisme et SAT.
- COMMENT FAIRE DE LA PRÉVENTION ? QUELLE CONCEPTION DE LA PRÉVENTION EN SAT ? -
Il faut rendre visible le risque professionnel. Annie Thébaud-Mony parle de l’invisibilité du risque. Il est sous-estimé par le modèle dominant depuis plus d’un siècle, avec peut-être, pour justification, le fait qu’on aille au travail pour gagner sa vie, et qu’il est inévitable qu’on y perde au moins une partie de sa santé : on a du travail, c’est cela qu’il faut préserver. Autres raisons de cette invisibilité : l’individualisation des risques, le cadre actuel de quantification et d’indemnisation des maladies professionnelles, l’évolution des stratégies d’entreprise (sous-traitance, mobilité, organisation, précarité) et les longs délais de latence entre exposition aux risques professionnels et apparition des maladies professionnelles, notamment les cancers professionnels.
Les risques professionnels ne concernent pas une pathologie ou un déterminant mais un champ plus large à multiples facettes : nuisances chimiques, physiques, biologiques, contraintes physiques et posturales, contraintes psychologiques. La SAT, ce n’est pas uniquement la pénibilité du travail dans le sens des nuisances visibles, mais aussi les conséquences de la trans-formation des organisations du travail sur la santé physique et mentale des salariés.
Les Mutuelles de France portent l’idée selon laquelle c’est le travail lui-même qui est malade et qu’il faut agir sur son organisation pour prévenir, protéger et permettre aux salariés de préserver leur santé. Ils en sont les acteurs : ne pas perdre sa santé au travail mais au contraire la préserver et la construire par le sens du travail.
Nous pensons que la prévention des risques professionnels est possible en s’interrogeant sur les causes, et pas seulement en gérant les effets après coup, ceci afin de mettre en oeuvre une démarche préventive visant à sortir de la stricte intervention curative, au système de l’après-coup. Nous pensons que l’intervention sur les risques professionnels doit être globale, transversale : gérer les effets, accompagner, réparer moralement et financièrement pour la reconnaissance des victimes dans une logique collective (à la différence de la judiciarisation à l’américaine) et évaluer en amont ces effets. Nous portons l’idée que notre action en prévention ne vise pas à la victimisation. Nous militons pour se préserver du risque à l’intégrité physique et plus largement pour ne pas se limiter à être contre les risques, à mener des actions contre la maladie. Nous conduisons des actions pour la santé, pour préserver le capital santé. Pour nous, la personne, le salarié, le mutualiste est acteur de sa santé, et nous voulons sortir du système dominant qui voit le sujet comme « subissant » et non comme « agissant ». De plus, nous refusons la stigmatisation, la culpabilisation du comportement des individus (logique d’individualisation qui ne permet pas d’interroger les causes professionnelles). En ce sens, nous avons développé des actions et formations (TMS, amiante, cancers professionnels, conférences, ateliers), et nous appuyons deux dispositifs mutualistes d’accueil des salariés en souffrance au travail.
L’alliance des professionnels de santé, psychologues, psychodynamiciens du travail, juristes, sociologues, militants sociaux, travaille à aider la personne hors du lieu du travail, à identifier les origines professionnelles pour l’aider à agir. Cette logique individuelle est aussi collective puisqu’elle renvoie sur le rôle des partenaires sociaux pour l’appréhension collective de la souffrance psychique au travail.
- PRÉSENTATION DU MÉMO-PRO -
Je vous propose maintenant de faire un zoom sur un outil qui fait le lien entre prévention, accompagnement et processus de réparation face au risque professionnel. Il s’agit du Mémo-Pro. Cet outil a le souci de répondre à l’inexistence de la traçabilité du parcours professionnel des salariés. C’est un livret en plusieurs parties, réalisé conjointement par le GISCOP, l’Unité pathologie professionnelle de l’hôpital Avicennes, le Service AT/MP/CPAM 93/Viva et les Mutuelles de France. Son objet est d’établir la traçabilité de l’exposition du salarié au cours de sa vie professionnelle. Ce carnet se compose de quatre parties.
La première partie s’intitule « Mon parcours professionnel ». Ce sont des fiches personnelles à compléter au fil des postes occupés (dates, lieux, expositions professionnelles, arrêts de travail, accidents, incidents, …). Cela part du constat qu’il était très difficile de retracer a posteriori son parcours professionnel, d’autant plus que des pathologies comme le cancer se déclarent longtemps après l’exposition. À la difficulté de mémoriser toutes les expositions auxquelles le travailleur a été exposé, s’ajoute la méconnaissance des risques encourus.
D’où la nécessité des fiches « Nuisances et risques » qui composent la deuxième partie du Mémo-Pro. Ces fiches permettent de prendre conscience et de connaître le risque (présence de fibres minérales, produits toxiques, rayonnements ionisants…) mais aussi de savoir qu’il faut faire attention à la durée et au niveau d’exposition. Sont présents également des risques tels que le bruit, les gestes répétitifs sous contrainte de temps et de cadence, le stress, risques qui entraînent une baisse de l’acuité auditive voire la surdité, des TMS, des dépressions, des troubles cognitifs, des troubles du sommeil ou du rythme cardiaque. La connaissance des risques autorise une meilleure protection et une possibilité d’actions pour préserver sa santé mais aussi assurer la compréhension collective des situations de travail.
La troisième partie fournit des informations sur la législation avec des fiches sur les droits en matière professionnelle, accidents du travail, et les acteurs de prévention. Elle a pour but de répondre à trois questions fondamentales : comment reconnaître une maladie professionnelle ? À qui s’adresser ? Quelles prestations sont prises en charge ?
Enfin, la dernière partie répertorie les acteurs de la santé au travail : CHSCT et les structures et organismes, comme les consultations de pathologies professionnelles et les consultations spécialisées.
À l’origine, nous voulions un support permettant aux adhérents de se prémunir face aux facteurs de risques, considérant que l’information et la sensibilisation doivent se faire auprès de tous les acteurs, toutes les parties d’une entreprise et les salariés en direct. Nous partons du principe que ce sont les salariés qui connaissent le mieux leur poste de travail, et sont donc les mieux à même d’examiner leur environnement professionnel. Il est donc nécessaire de leur donner les clés de ce qui présente un risque d’altération pour leur santé, de les accompagner dans des actions de dépistage et, le cas échéant, de connaître les dédommagements à réparation en ayant mémoire de leur parcours, d’où le nom de Mémo-Pro.
Il est conçu pour : aider au dépistage des cancers professionnels par l’identification des risques, leur évaluation et les mesures de correction ; organiser la traçabilité des expositions professionnelles par mémorisation tout au long de sa vie et non a posteriori ; sensibiliser à la prévention et à la protection individuelle et collective ; contribuer à l’éducation à la santé au travail et à la connaissance des droits ; accompagner les adhérents actifs/inactifs dans leurs droits à réparation et suivi postprofessionnel.
Mais un guide ne vit pas tout seul. Autour de Mémo-Pro, nous organisons des conférences (en partenariat) sur les facteurs de risques et la prévention des cancers professionnels, l’importance du dépistage, et nous proposons la mise en place de groupes de parole pour ceux qui veulent s’approprier le Mémo-Pro et un suivi post-professionnel (repérer les nuisances éventuelles).
L’intérêt de cet outil est à la fois collectif et individuel. Intérêt pour le collectif : meilleure connaissance des cancers professionnels et des risques ; développement de l’effort de prévention ; prise en charge par la branche professionnelle ATMP (Accidents du travail/Maladies professionnelles), financée par l’entreprise responsable et non pas par le régime général de l’Assurancemaladie. Intérêt individuel : rendre acteur ; diminuer l’incidence des maladies professionnelles ; indemnisation des victimes, maintien dans l’emploi.
De l’expérience, il ressort :
- Ce qu’il faut privilégier : en parler, toujours et encore
- Conscientiser
- Faire savoir, et ne pas se laisser piéger par le processus unique d’enquête épidémiologique, en attendre la fin avant d’agir sinon, il n’y a pas de mise en lumière possible.
- QUELLE PRÉVENTION POUR LES MÉTIERS PORTUAIRES ? -
Pour évoquer cette question, je vais m’appuyer sur les témoignages de dockers du port de Marseille.
Premier constat : l’absence de connaissance des produits manipulés. Tous les dockers savent qu’ils manipulent des produits dangereux : « Il existe une classification de 1 à 9 avec signalétique mais les dockers ne savent pas ce qu’ils manipulent exactement ! » La situation a même empiré car aujourd’hui les procédures modernisées font que ce sont des containers qui débarquent. Avant, ils savaient ce qu’ils manipulaient, aujourd’hui, non.
Second constat : la réglementation ne veut pas dire prévention. « La classification des produits (échelle de 1 à 9) reste trop générale ». Il faut donc connaître les risques et les substances, et informer, sinon on ne peut être acteur de sa santé et se protéger d’une exposition.
Troisième constat : des procédures pas suffisamment adaptées, claires et précises. Elles devraient pourtant l’être pour permettre au salarié de connaître ce qu’il transporte ou entrepose, d’en mesurer les risques et de s’adapter en conséquence afin de préserver sa santé. Il faut donc élaborer ensemble les procédures à partir du vécu des salariés.
Quatrième constat : le cloisonnement, alors que tout le monde est exposé. « L’exportateur ne dit pas ce que les containers transportent pour être sûr qu’ils soient débarqués dans un impératif de temps (…) Il n’y a pas de transparence sur la connaissance des produits entre les douanes et la direction du port ». C’est pourquoi il faut mettre tous les acteurs autour de la table afin de décloisonner la question de la santé qui concerne tout le monde à tous les niveaux.
« Les dockers vivent avec les matières dangereuses (ils y sont confrontés en permanence) et vivent avec des nuisances sonores fortes. Chaque heure tout change selon l’arrivée des marchandises ». Ce cinquième constat pose la question de la pénibilité, question qui a fait l’actualité récente mais qui n’intègre pas les cancers professionnels du fait du temps de latence. C’est pourquoi il reste beaucoup à faire sur le suivi post-professionnel pour faciliter la réalisation du dossier et la régularité du suivi.
Gaston, retraité, syndicaliste, figure emblématique du Port de Marseille, à l’origine de la bataille Amiante sur le port de Marseille, a dit : « Il n’y a jamais eu de politique de l’avant ». La prévention, c’est la politique de l’avant, la politique pour la santé de tous, qui fait le lien avec l’amélioration, le contrôle, l’accompagnement, la réparation. La prévention constitue le lien entre tous les ports de France. Gaston s’est souvenu d’une anecdote très révélatrice. Lors d’une manipulation, un container est percé. Immédiatement un cordon de sécurité sanitaire important est mis en place autour du container, l’équipe est emmenée à l’hôpital par les pompiers pour examens et observations. On remarque là des procédures très efficaces mais sans jamais que l’équipe n’ait été informée de ce qu’il y avait dans le container, ni pourquoi une telle procédure avait été nécessaire, ni les risques possibles. Si chacun ensuite a essayé de savoir, il n’existe pas pour autant de démarche préventive intégrée dans l’organisation du travail. La prévention n’est pas seulement l’hygiène et la sécurité : c’est une démarche globale de compréhension du poste de travail, des risques, et l’action élaborée avec les salariés pour être acteurs de leur santé. La démarche participative et la concertation sont essentielles.
Pour conclure, je dirai que la prévention en SAT, c’est tout simplement ne pas accepter de perdre sa santé au travail. Il ne s’agit pas seulement de mieux gagner sa vie mais il est aussi question de dignité, de lien social, de son investissement dans le travail, la place centrale du travail dans la vie de chacun, des gratifications du travail utile, bien fait et reconnu. On ne peut pas être uniquement dans l’accompagnement individuel de la personne. Il faut avoir une intervention préventive dans l’entreprise pour le collectif. La prévention en SAT pose la question de l’humain au travail. Tout est construit pour le ramener à un facteur de production parmi d’autres, un élément du process, une ressource. On ne peut pas accepter cela. On ne peut pas accepter que le travail nous casse, nous rende malade sans avoir aucune clef pour construire une démarche positive au travail avec tous les acteurs, et évaluer ensemble les risques et protéger tout le monde. D’où la nécessité d’une journée comme celle-ci.
- SYNTHÉSE SECONDE TABLE RONDE -
Si les dockers victimes de l’amiante parviennent à se faire reconnaître assez facilement en maladie professionnelle, il n’en va pas de même avec d’autres pathologies. C’est le cas de la surdité, exposée par un ancien docker nantais dont le dossier a été refusé par la commission régionale.
Véronique Aubry souligne l’importance d’user de tous les recours pour se faire reconnaître en maladie professionnelle : « Beaucoup de dossiers de maladie professionnelle finissent devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale. Mais à partir du moment où le dossier d’une maladie professionnelle hors tableaux est reconnu par la juridiction sociale, à partir du moment où une cour d’appel reconnaît une maladie comme maladie professionnelle, alors les choses peuvent évoluer, y compris pour les autres salariés victimes d’une même pathologie. »
Remplir un dossier complexe, faire des démarches longues, se voir opposer peut-être un ou des refus rebutent nombre de malades. Jean-Luc Chagnolleau souligne que de nombreux adhérents de l’APPSTMP baissent les bras, refusant d’affronter l’administration. Une association peut-elle alors agir à leur place ? « Non, répond Véronique Aubry. Contrairement aux États-Unis, il n’existe pas en France de système de « class action », c’est-à-dire d’actions collectives menées par des associations au nom des victimes. Et techniquement, pour qu’il y ait réparation, il faut que l’association ait subi elle-même un préjudice. Or, dans le cas présent, c’est l’individu qui a subi un préjudice. »
Concernant le préjudice d’anxiété, Véronique Aubry résume la décision de la Justice : « Le préjudice d’anxiété naît à partir du moment où le salarié sait qu’il a travaillé dans un environnement exposé par exemple à l’amiante et qu’il va devoir subir des contrôles. C’est cela le préjudice d’anxiété : le risque n’est pas réalisé mais il y a une angoisse par rapport à la survenance d’un risque. À partir du moment où vous avez une fiche d’exposition, le préjudice d’anxiété est né. »
Monsieur Arnaudeau rappelle que le préjudice d’anxiété a été validé par la cour de cassation en mai 2010 grâce à l’action de travailleurs en cessation anticipée d’activité ayant travaillé dans des entreprises traitant de l’amiante.
Les dockers et travailleurs portuaires ne sont pas les seuls travailleurs à être confrontés aux maladies professionnelles. C’est ce que souligne Marie-Béatrice Tonnais, secrétaire du syndicat CGT du CHU de Nantes, rappelant que l’espérance de vie des aides-soignantes et des infirmières est inférieure à la moyenne nationale de cinq à huit ans. Les causes sont pour l’heure inconnues mais à n’en pas douter, elles sont multifactorielles : travail physique, temps de travail très varié, utilisation de produits toxiques, contacts avec des germes pathogènes, usure psychologique… D’où la nécessité de coordonner les efforts pour avancer collectivement.
Véronique Daubas-Letourneux souligne l’importance de l’expertise pour mener ce combat : « Il nous faut produire une connaissancesur les expositions qui ne soit pas une connaissance prisonnière des seuls tableaux et seules substances identifiées ; je pense notamment aux poly-expositions. L’histoire, le temps, l’évolution des conditions de travail sur le port de Nantes–Saint-Nazaire sont importantes à prendre en compte. On a vu que les équipements de protection individuelle n’existaient pas avant une certaine date. Je plaide pour qu’on lance un projet pluridisciplinaire, associant travailleurs passés et actuels, préventeurs et chercheurs, reposant sur un protocole d’enquête rigoureux. Ce projet aurait un triple objectif : mieux connaître, mieux reconnaître et mieux prévenir. »
La prévention, c’est ce sur quoi repose le Mémo-Pro développé par la Fédération des mutuelles de France (FMF). Pour Carole Hazé, il ne s’agit pas seulement de proposer un simple « outil d’aide à la mémorisation de son parcours professionnel tout au long de sa vie. La FMF met en place des réunions d’information sur la prévention des cancers et maladies professionnelles, et les personnes qui veulent s’approprier cet outil-là, peuvent s’appuyer sur des groupes de suivi pouvant les aider à identifier les risques, les caractériser, repérer les risques potentiels et envisager collectivement les mesures de prévention. » Cet outil a été expérimenté par deux mutuelles et a permis de « mettre en lumière un manque criant de traçabilité sur l’exposition. »
Véronique Aubry est dubitative quant à l’intérêt du Mémo-Pro qui lui semble déresponsabiliser les employeurs : « Je me méfie de ces outils qui peuvent faire doublon avec le code du travail et qui m’apparaissent un peu compliqués à mettre en place avec des employeurs tels ceux du GPM. L’employeur a des obligations fixées par le code du travail, et s’il les respectait, il n’y aurait pas de maladies professionnelles ! Le code est à mon sens un outil largement suffisant. »
Jean-Luc Chagnolleau condamne la politique actuelle du GPM : « À Nantes, la direction du port se paie un avocat à l’année. Chaque demande de maladie professionnelle ou de maladie simple est contestée par cet avocat. Le docker n’a plus le droit d’être malade, c’est la réalité ! Notre riposte doit être à la hauteur de l’attaque que nous subissons. »
S’il faut condamner les employeurs qui fournissent rarement les protections nécessaires à leurs salariés et ne respectent pas le code du travail, de leur côté, les syndicats peuvent-ils se reprocher une absence de vigilance concernant la sécurité au travail ? Il est vrai, souligne Jean-Luc Chagnolleau, qu’avant 1990, les dockers se préoccupaient essentiellement d’obtenir un casque, des chaussures de sécurité, un manteau, voire des masques : « Les masques ? On nous en donnait un pour la journée. Les combinaisons ? Nos collègues ressemblent maintenant à des cosmonautes, mais on ne respecte toujours pas le protocole : les combinaisons ne sont pas mises dans des poubelles closes. Quand on travaille les céréales, il me semble plus important d’avoir un masque ventilé plutôt qu’un casque. Alors oui, il y a eu des progrès effectués, mais on partait de zéro ! » Jean-François, ancien docker nantais et délégué au CHS de 1980 à 1992, abonde dans son sens, rappelant qu’il a fallu se battre pour obtenir l’installation de douches. Anecdote révélatrice de la situation : concernant les chaussures de sécurité, l’employeur n’en payait qu’une seule, l’autre revenant à la charge du docker !
Gilbert (docker, Port de Marseille) rappelle que le premier souci du docker est de rentrer vivant de sa journée de travail. Le docker envisage l’écrasement, l’accident, et pour cela, il se focalise sur le casque, les gants etc. : « Aujourd’hui, le problème est qu’on est dans l’incapacité de savoir ce qu’il y a dans un conteneur. On ne peut pas comparer notre métier à une usine ou une industrie où le gars manipule une certaine marchandise, un certain produit. Les dockers, eux, ne savent pas ce qu’ils manipulent. »
Manuella Moreau, ancienne permanente juridique de l’UD CGT 44, insiste sur le rôle irremplaçable des délégués syndicaux et du CHSCT pour imposer aux employeurs les protections indispensables aux salariés. Véronique Aubry, de son côté, souligne la difficulté dans laquelle se trouvent les dockers : « On vous met dans la position de devoir choisir entre votre santé et votre outil de travail. Les travailleurs du port sont soumis au chantage : ou vous mettez votre santé de côté, ou on perd des trafics. C’est pourquoi il faut trouver des astuces notamment juridiques à opposer à l’employeur pour le contraindre à respecter votre santé tout en gardant les bateaux. Mais je sais que c’est très compliqué. »
Yves Tual (syndicat CGT du GPM) témoigne qu’il faut toujours se battre pour garantir la sécurité des travailleurs : « Il nous a fallu faire grève et aller jusqu’au ministère pour obtenir une cabine de conduite pressurisée pour un grutier travaillant sur un nouveau trafic de ciment à Saint-Nazaire ! » L’implication de la CGT dans le CHSCT du GPM est soulignée par M. Peslerbe, ancien médecin du travail sur le Port autonome entre 1982 et 2002. Il rappelle qu’en 2003, il a publié une brochure sur le « risque poussières », travail reposant sur des contrôles effectués sur les tourteaux, le cock de pétrole, les fumées de charbon, les pesticides, ou encore la tourbe d’Ukraine ; qu’il s’est intéressé aux poussières d’amiante présentes sur la ferraille. Il sait également que les mesures de protection qu’il préconisait, notamment l’emploi des masques, n’étaient pas toujours suivies par les salariés : « Je n’ai peut-être pas été assez persuasif auprès des salariés pour leur faire comprendre l’importance de la sécurité. »
GILLES RIALLAND
Il n’est jamais facile, à chaud, de faire des conclusions, de tirer lesenseignements de la journée.
Au regard de toutes les interventions et de tous les témoignages, nous avons eu raison d’organiser cette réunion. Cela nous conforte dans notre démarche.
Aujourd’hui tout commence. Il reste beaucoup à faire et nous devons rester mobilisés pour faire avancer notre démarche. On voit finalement, avec la sortie de notre enquête locale, et toutes les interventions, que l’on a la même tendance dans les autres ports. Cela nous conforte à poursuivre notre action et cela nous pousse à réfléchir aux moyens d’étendre notre démarche au niveau national. Il nous faudra y réfléchir, et en discuter.
La préparation de la journée d’aujourd’hui a attiré l’attention de nombreux acteurs. On ne pensait provoquer un tel écho quand nous nous sommes lancés dans ce combat avec Jean-Luc et Serge. Nous étions plus sur une réflexion locale à partir des problèmes que nous constations. Les médecins, les chercheurs se sont intéressés à notre démarche, et c’est comme cela que nous avons progressé. La presse locale s’est aussi intéressée à ce que l’on faisait, tout comme certains journaux spécialisés qui nous ont contactés. Cette conférence a donc le mérite de rendre public un dossier d’autant plus méconnu que jusqu’ici, les dockers n’avaient pas trop conscience des risques qu’ils prenaient sur les quais. Il sera désormais difficile d’affirmer pour tous ceux qui ont des responsabilités dans les problèmes de santé qu’ils ignoraient l’existence de ces risques-là.
Il va nous falloir saisir la puissance publique, via le Préfet, et relancer toutes nos démarches en direction de la CARSAT, de la DIRECCTE, en nous appuyant sur les informations transmises par M. Grégoire de la Ligue contre le cancer 44. Sur le plan local, nous nous devons de reprendre contact avec les employeurs du GPM : les manutentionnaires.
Serge a lancé l’idée de réfléchir au lancement d’un fonds de
financement de toute la place portuaire afin de financer des
mesures de prévention pour les salariés et ce que l’on appelle la
réparation. Il va falloir travailler sur cette idée-là.
Il faut également donner les moyens à Véronique Daubas-Letourneux et Christophe Coutanceau de travailler sur ce qu’ils ont proposé, leur permettre de mener une véritable étude sur les risques encourus par les salariés portuaires. Je suis sûr que c’est à partir de cette étude que nous pourrons améliorer la connaissance des pathologies d’origine professionnelle et par là même de la prise en charge de celles-ci. C’est ce qui nous permettra d’engager des actions de prévention pour protéger la santé des travailleurs. Ma conviction (renforcée par les dernières années que j’ai passées au port dans le service sécurité est qu’il faut absolument que les CHSCT s’impliquent, parce qu’ils sont un pivot important pour agir pour la prévention au travail.
Aujourd’hui on entend beaucoup parler de certification, mais c’est toujours pour le client ou la marchandise. J’ai lu dernièrement un document de la Confédération européenne des syndicats qui parlait de certifier les entreprises sur la question de la santé du travailleur. Il faut y réfléchir, en sachant qu’il faudrait que cela soit effectif au niveau européen voire mondial, puisque le risque, pour un port trop rigoureux, est de voir partir les trafics ailleurs. J’ai noté que sur le plan juridique nous disposions d’un arsenal juridique important. Il faut y regarder de plus près.
L’outil dont a parlé Carole Hazé me semble intéressant à étudier. J’ai bien noté les divergences entre Me Aubry et Carole Hazé, mais cela ne me choque pas que le travailleur dispose d’un carnet de santé personnel puisqu’il a bien un carnet d’entretien pour sa voiture !
SERGE DOUSSIN
Sincèrement, je pense que nous ne sommes pas forcément en capacité de mesurer aujourd’hui l’importance de cette réunion. Je suis d’accord avec le copain de Marseille quand il dit « Il faut être docker pour comprendre le métier de docker » ; moi, je suis métallo, mais je connais un peu la profession de docker pour avoir suivi depuis 1992 la situation. Il y a nécessité de bien connaître la profession. Et je suis d’accord aussi sur l’idée que cette journée va faire bouger les choses bien au-delà de la profession sans qu’il y ait forcément nécessité d’avoir une structure, une coordination. L’onde de choc va être relativement importante. La présence de Jeannine Moreau, secrétaire de l’UD CGT 44, me laisse penser que cette journée aura des répercussions sur le plan interprofessionnel.
On recherchait une caution scientifique et médicale à l’expertise sociale que nous avions menée. Ce matin, avec l’intervention du professeur Géraut, celle du président de la Ligue contre le Cancer 44, les propos de Véronique Daubas-Letourneux, on a eu ce croisement entre l’expertise sociale et le regard scientifique et médical. Et là, on a un point d’appui extraordinaire. Et c’est sûr que contrairement à ce qu’on pouvait se dire entre nous (qu’après le 24 avril, nous pourrions souffler !), on ne va pas souffler parce qu’on a des interpellations à faire, notamment en direction du préfet. L’application du plan Cancer 2 et des directives 9 et 12, ils ne peuvent pas y échapper !
Par rapport à ce qu’a dit Véronique Aubry sur les différents axes un certain nombre d’interrogations qu’on pouvait se poser.
En écoutant les témoignages émouvants de ce matin, je crois que nous avons une responsabilité morale vis-à-vis des copains qui à la fois se battent contre la maladie et parallèlement engagent un combat. Je pense à Jean-Luc Chagnolleau et à Robert Guérin. Il y a ce double combat pour leur santé et leur droit à la vie, et cette volonté dont ils font preuve pour que leurs collègues, leurs copains, leurs camarades de la profession ne connaissent pas cela ; que leur intégrité physique soit respectée. Il y a des situations comme cela, et je le dis sincèrement, où des courages s’expriment, des attitudes forcent le respect ; et cela implique de notre part, maintenant, à tous, une responsabilité morale pour conduire jusqu’au bout ce combat pour la vie.
JEAN-LUC CHAGNOLLEAU
Ce matin, l’une de mes craintes, c’était la déshumanisation du débat. J’avais peur que l’on parle de chiffres, de beaucoup de choses et qu’on en oublie les hommes, les malades. Or les malades ont pris toute leur place, parce qu’ils étaient là. Derrière chaque malade, il y a une souffrance morale et physique, et toute personne qui vit avec un malade le sait. On n’a pas oublié que ces copains étaient là, même s’ils n’étaient pas présents physiquement ici. C’est pour eux qu’on a fait ça.
Je voulais tous vous remercier d’être venus. Déjà les nonportuaires, car concernant les portuaires je n’avais aucun doute quant à leur présence ici. Je connaissais la sympathie que vous aviez pour Nantes. Je savais que le sujet vous intéressait. Je savais que je pouvais compter sur vous. Mes camarades du Havre qui devaient être dix sont venus à 20. Je fais un remerciement personnel à Jacquot, à Charlie, à Michel, à Jean-Yves, tous ces potes qui sont là dans les bons et les mauvais moments, qui ont toujours été là, auprès de moi, même quand ça allait très mal au niveau syndical, quand j’ai commencé avec rien, et que mon vieux Jacquot m’a dit que je pouvais compter sur lui ; et aujourd’hui encore, dix-sept ans après. Je n’oublie pas mon pote Gilbert : quinze ans qu’on se suit, qu’on se téléphone, qu’on partage des idées, qu’on partage cette idée. Quand il y a un an et demi cette journée a germé dans notre tête, avec Robert, la première personne à qui j’en ai parlé, c’est Gilbert. Je me demandais si notre histoire allait tenir la route, et lui m’a répondu : « Qui ne tente rien, n’a rien ».
Ce sont des messages personnels, mais si ça avance, c’est grâce à tous les coups de téléphone que je reçois depuis trois ans et demi maintenant, c’est unique (quand on dit que notre profession fait corps), y’a pas une semaine sans que je ne reçoive deux ou trois coups de téléphone de copains me demandant comment je vais.
On a créé un outil, il va falloir s’en servir, l’améliorer, frapper aux portes. Je vais continuer à me battre pour pouvoir vivre.